Urbanisme, aménagement et foncier
le 23/05/2024

Précision sur l’extension de l’urbanisation en continuité dans les communes littorales

CE, Avis contentieux, 30 avril 2024, Mme A., n° 490405

Saisi pour avis par le Tribunal administratif de Bastia, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’interdiction de l’extension de l’urbanisation en continuité, en particulier l’agrandissement des constructions, dans les communes soumises à la Loi Littoral.

En l’espèce, Mme D. a sollicité un permis de construire en vue de réaliser plusieurs aménagements sur la parcelle comprenant sa maison d’habitation, à savoir la construction d’une terrasse et d’un local technique et l’extension de sa piscine. Sa maison, d’une superficie initiale de 83 mètres carrés, avait déjà fait l’objet, trois ans auparavant, d’une extension consistant en la création de pièces supplémentaires d’une surface de plancher de 22 mètres carrés, d’une piscine de 36 mètres carrés et d’un abri de voiture. Pour refuser d’accorder l’autorisation pour la nouvelle extension, le maire de Porto-Vecchio a appréhendé de façon cumulée les extensions récemment réalisées et les nouveaux aménagements projetés, considérant que le projet était constitutif d’une extension d’urbanisation discontinue prohibée par les dispositions issues de la Loi Littoral.

A l’inverse, la requérante faisait valoir que l’extension devait être appréhendée au regard du dernier état de la construction à la date de sa demande et que, ce faisant, l’extension de l’urbanisation était limitée et en continuité. Cette question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges a donc été portée devant le Conseil d’Etat en application de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative. Pour rappel, en droit, les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme imposent « l’extension de l’urbanisation en continuité »[1] dans les communes littorales[2] :

« L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants.

Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs. […] ».

L’esprit de la règle est d’instituer un dispositif « anti-mitage », le législateur a ainsi entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes littorales. Cela implique que les constructions peuvent être autorisées en continuité avec les zones déjà urbanisées caractérisées par une densité significative des constructions, mais qu’aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres constructions dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées des agglomérations (CE, 19 octobre 2007, Commune de Lavandou, n° 306074). Deux tempéraments ont toutefois été apportés à cette règle en jurisprudence.

Le premier concerne l’hypothèse de la restauration d’une construction existante répondant aux conditions de l’article L. 111-23 du Code de l’urbanisme (CE, 4 août 2021, M. LD., n° 433761).

Le second concerne le simple agrandissement d’une construction existante, dégagé par la décision M. F. du Conseil d’Etat du 3 avril 2020[3]. Le Conseil d’Etat avait alors jugé que  « [si], en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions » sans toutefois préciser la notion d’agrandissement.

L’avis contentieux du 30 avril 2024 a pour objectif d’éclaircir cette notion d’agrandissement. Le Conseil d’Etat juge que :

« 2. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral. Toutefois, le simple agrandissement d’une construction existante, c’est-à-dire une extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée, ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation prohibée par ces dispositions.

 Le caractère de l’agrandissement envisagé s’apprécie par comparaison avec l’état de la construction initiale, sans qu’il y ait lieu de tenir compte des éventuels agrandissements intervenus ultérieurement.

    1. S’agissant toutefois des constructions antérieures à la loi du 3 janvier 1986, le caractère de l’agrandissement envisagé s’apprécie par comparaison avec l’état de la construction à la date d’entrée en vigueur de cette loi ».

Ainsi, le Conseil d’Etat estime que l’agrandissement doit être apprécié au regard de sa taille propre (en valeur absolue), de sa proportion par rapport à la construction (en valeur relative) et en fonction de la nature de la modification apportée. Quant à la construction de référence qu’il convient de prendre en considération :

  • Il s’agit de la construction initiale pour les constructions postérieures à la Loi Littoral ;
  • Et de la construction existante à la date d’entrée en vigueur de la Loi Littoral pour les constructions antérieures à cette loi.

Cette solution est conforme à l’esprit de la Loi Littoral : la prise en considération de la construction initiale pour apprécier l’extension en continuité de l’urbanisation permet d’éviter que des agrandissements successifs ne viennent contourner le dispositif « anti-mitage » souhaité. Cela doit permettre d’éviter la possibilité de contourner la règle par des agrandissements successifs. Cela étant, l’appréciation de l’extension limitée et en continuité reste grandement entre les mains des services instructeurs ou auteurs des documents locaux d’urbanisme, puis des juges du fond en cas de contentieux, dans une matière particulièrement casuistique.

 

[1] Cette notion ne doit pas être confondue avec la notion usuelle « d’extension d’une construction existante » en dehors des communes littorale ».

[2] A noter que ce principe s’impose à la fois aux autorisations d’urbanisme et aux documents d’urbanisme (v. par exemple, pour une application à un document d’urbanisme : CAA Marseille, 18 janvier 2021, n°19MA05405).

[3]419139. Voir notre commentaire sur cette décision ici.