Urbanisme, aménagement et foncier
le 11/07/2024

Précision importante sur le recours à l’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière

CE, 30 avril 2024, n° 465919

Par arrêté en date du 31 août 2018, la préfète de la Charente a déclaré d’utilité publique (DUP) le projet de requalification d’une friche industrielle sur le site dit des « Chais Montaigne », situé boulevard Jean Monnet à Angoulême. Précisément et pour ce faire, elle a eu recours à l’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière.

L’emprise, d’une superficie de plus de quatre hectares, abrite une ancienne usine d’embouteillage, constituée d’anciens hangars et bâtiments industriels désaffectés depuis 2004. Le site est laissé à l’abandon, menace ruine et n’est pas sécurisé. Il a déjà fait l’objet d’intrusions et a donné lieu à un accident mortel en 2015. Enfin, les sols de celui-ci sont pollués par des hydrocarbures. La DUP a fait l’objet d’un recours en excès de pouvoir par le propriétaire et par le bénéficiaire d’une promesse de vente, ayant fait, par ailleurs, une demande de permis d’aménager sur la parcelle concernée.

Par un arrêt du 30 avril 2024, le Conseil d’Etat a pu préciser le degré minimal de consistance d’un projet dont une collectivité doit justifier lorsqu’elle constitue, par voie d’expropriation, une réserve foncière. Au cas présent, le Conseil d’Etat relève que le terrain des « Chais Montaigne » a été réservé pour permettre la réalisation d’une opération de renouvellement urbain afin, d’une part, de résorber une friche industrielle à l’entrée de la ville présentant un danger avéré pour les habitants et, d’autre part, de développer de nouvelles zones d’activité économique ainsi qu’une offre de logements familiaux à loyer abordable, conformément à la vocation de la zone telle que modifiée par le plan local d’urbanisme intercommunal alors en cours d’élaboration et adopté en décembre 2019.

Il en conclut que la maîtrise foncière, par voie d’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière, est nécessaire pour préciser le programme d’aménagement, alors même que la consistance du projet n’est définie que de manière sommaire, sans que ne soit arrêtée la répartition entre les composantes développement économique et habitat, en particulier pour réaliser les diagnostics et actions de dépollution rendus nécessaires par la présence historique de dépôts d’hydrocarbures sur le site. En conséquence, le Conseil d’Etat juge que l’expropriant justifiait à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de l’existence d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques de ce projet n’auraient pas encore été définies à cette date.

Ainsi, sans revenir sur l’obligation pour la collectivité de justifier de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat admet que la constitution de réserves foncières soit autorisée non seulement lorsque les caractéristiques précises du projet n’ont pas été définies, mais aussi lorsque la consistance du projet reste définie sommairement sans que toutes ses composantes n’aient encore été arrêtées.

Par son arrêt, le Conseil d’Etat affirme la spécificité des réserves foncières dont l’objet n’est pas de « réaliser mais seulement d’anticiper la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement, ce que traduit l’écart de texte entre les dispositions de l’article L. 221-1 et celles de l’article L. 210-1 [du Code de l’urbanisme] propre aux droits de préemption, les réserves foncières [au titre du Code de l’expropriation] étant exercées non pas «  en vue de la réalisation «  des actions et opérations mais «  en vue de permettre la réalisation «  de celles-ci »[1].

 

[1] Conclusions du rapporteur public Monsieur Nicolas AGNOUX sous l’arrêt commenté.