Par une décision rendue le 1er juillet 2024, le Conseil d’Etat juge légal le décret du 14 mai 2024 portant application de l’article L. 211-11-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques[1].
Pour rappel, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, adoptée dans le contexte des attentats de 2015 et en vue de l’Euro de 2016, a créé au sein du CSI un article L. 211-11-1instaurant un régime d’autorisation d’accès aux établissements et installations accueillant certains grands événements. Ces dispositions imposent d’abord au pouvoir règlementaire de désigner par décret les « établissements et installations qui accueillent ces grands évènements » et sont exposés à un risque « exceptionnel de menace terroriste ».
En application de ces dispositions, pendant toute la durée de l’événement et de sa préparation, toute personne autre qu’un spectateur ou un participant doit obtenir une autorisation préalable de l’organisateur pour accéder aux sites désignés. Cette autorisation de l’organisateur est subordonnée à l’avis préalable de l’autorité administrative, lequel se fonde sur une enquête administrative pouvant donner lieu à la consultation de certains fichiers comprenant des données personnelles, à l’exclusion des fichiers d’identification. Aux termes de ces dispositions, un avis défavorable ne peut être émis que s’il ressort de l’enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.
A noter que le Conseil d’Etat avait déjà eu l’opportunité de se prononcer sur les dispositions précitées du CSI, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’il avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel. A cet égard, il avait considéré que ces dispositions ne privaient pas de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives à l’exercice de la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit au recours effectif dès lors que notamment, l’autorité réglementaire devait désigner le grand événement exposé à un risque terroriste exceptionnel, identifier l’organisateur responsable des autorisations d’accès, définir précisément la durée de préparation et de déroulement de l’événement, et désigner les établissements et installations concernés, à l’exclusion des autres locaux et voies publiques[2].
Le décret contesté du 14 mai 2024 désigne assez logiquement la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris comme un « grand évènement » au sens de l’article L. 211-11-1 du CSI. Toutefois, ce décret désigne au titre des établissements et installations dont l’accès est soumis à autorisation administrative préalable un très large périmètre incluant notamment la Seine, les berges de Seine et d’autres voies publiques. Or, au vu de la jurisprudence du Conseil d’Etat et des dispositions du CSI, l’on pouvait s’interroger sur l’application régulière de ces dernières. Toutefois, et de manière assez pragmatique, le Conseil d’Etat a adopté ici une approche extensive, mais encadrée, des notions d’« établissement et installations ».
Pour ce faire, il a d’abord rappelé qu’en principe, les dispositions du CSI excluent que soient soumis à un tel régime tout autre local que ceux accueillant ces établissements et installations, ainsi que les voies publiques permettant d’y accéder. Il a néanmoins estimé que dans « le cas très particulier de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de 2024, la Seine elle-même, les voies publiques, et en particulier les quais bas, les quais hauts et les ponts devaient être regardés comme des établissements et installations accueillant ce grand événement » au sens et pour l’application de l’article L. 211-11-1 du CSI.
Il a également considéré qu’« en raison de sa nature, de sa visibilité internationale, du risque particulier qu’implique notamment la présence de chefs d’Etat et de gouvernement, de l’ampleur attendue de sa fréquentation et de la configuration des lieux qui l’accueillent », la cérémonie présentait un « caractère exceptionnel et sans précédent » qui justifiait la définition d’un tel périmètre, aussi étendu soit-il. Il est ainsi probable que cette appréciation extensive n’ait pas vocation à devenir la règle, mais à demeurer une exception cantonnée à des manifestations particulièrement exceptionnelles, voire exclusivement réservée à l’espèce.
Enfin, relevant – ainsi que le soutenait le requérant – que le dispositif mis en place permet de soumettre à une autorisation et à une enquête administrative préalable les personnes souhaitant accéder, à un titre autre que celui de spectateur, au périmètre défini par le décret, le Conseil d’Etat précise que « la délivrance d’une telle autorisation est de droit pour les personnes qui résident ou travaillent habituellement dans ce périmètre et qui en font la demande ».
Sous cette dernière condition, et eu égard aux enjeux et aux risques particulièrement prégnants pesant sur la cérémonie, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité du décret attaqué, considérant qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de propriété des personnes soumises à la procédure d’autorisation d’accès.
[1] Décret n° 2024-431 du 14 mai 2024 portant application de l’article L. 211-11-1 du Code de la sécurité intérieure à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de 2024.
[2] CE, 21 février 2018, Ligue des droits de l’Homme, n° 414827.