Droit du travail et de la sécurité sociale
le 15/12/2022

Période d’astreinte et risque de requalification en temps de travail effectif lorsque le salarié a une liberté d’action réduite

Cass. Soc., 26 octobre 2022, n° 21-14.178

Par un arrêt rendu le 26 octobre 2022 (pourvoi n° 21-14.178)[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a apporté des précisions sur les situations où les périodes d’astreintes sont susceptibles d’être qualifiées de temps de travail effectif.

Pour rappel, en droit du travail, le dispositif des astreintes consiste en une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.[2]

La période d’astreinte, en elle-même, se distingue, ainsi, de la période d’intervention. En effet, seule la période d’intervention constitue du temps de travail effectif.  La période d’astreinte, en revanche, ne répond pas à la définition du temps de travail effectif prévue par l’article L. 3121-1 du Code du travail, car elle implique :

  • de ne pas être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur ;
  • et pouvoir vaquer à ses occupation personnelles sans avoir à se conformer à ses directives.

La période d’astreinte, qui n’est pas du temps de travail effectif, doit, cependant, faire l’objet d’une contrepartie.  Cette contrepartie peut être de nature exclusivement financière ou prendre la forme d’un repos.

Aussi, la mise en place et la mise en œuvre des astreintes en entreprise sont particulièrement délicates. Elles nécessitent de porter une attention particulière aux temps de repos quotidiens et hebdomadaires des salariés, aux durées maximales de travail, voire au travail de nuit.

L’arrêt ci-commenté est une occasion de mettre en perspective les difficultés susceptibles d’être rencontrées à cette occasion et permet de dégager des critères sur le fondement desquels, exceptionnellement, une période d’astreinte peut constituer du temps de travail effectif.Présentation du cas particulier

Présentation du cas particulier

Le cas particulier de l’arrêt précité concerne une société qui exerce une activité de dépannage de véhicule.

Dans le cadre de cette activité, la société organisait des « permanences » en dehors des jours et heures d’ouverture des locaux de l’entreprise. Pour assurer ces permanences, des équipes de 3 ou 4 salariés devaient se tenir à proximité des locaux de l’entreprise pour répondre sans délai à toute demande de dépannage. A cette fin, les salariés étaient équipés de téléphones et intervenaient à la demande d’un dispatcheur, dont la mission était de réceptionner les appels d’urgence.

Estimant, notamment, avoir réalisé des heures supplémentaires non rémunérées dans ce cadre, un salarié a saisi les juridictions. Devant la chambre sociale de la Cour de cassation, le salarié, demandeur au pourvoi, faisait valoir que la Cour d’appel a eu tort de le débouter de sa demande de rappel d’heures supplémentaires au titre des périodes d’astreinte effectuées, car elle aurait dû rechercher et apprécier, ainsi qu’elle y était invitée :

« Si, au regard des sujétions auxquelles le salarié était effectivement soumis au cours des périodes litigieuses, ce dernier n’était pas en permanence à la disposition de son employeur et s’il pouvait ou non vaquer librement à ses occupations personnelles ».

Estimant le moyen du salarié pertinent, la Cour de cassation a censuré le raisonnement des juges du fond.

Solution et portée de l’arrêt

La Cour de cassation a, en effet, estimé que puisque le demandeur invoquait qu’il lui était imparti un court délai d’intervention pour se rendre sur place après l’appel de l’usager, les juges du fond auraient dû, pour statuer conformément au droit, vérifier :

« Si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles ».

Ainsi, pour la Cour de cassation, des périodes d’astreinte peuvent être qualifiées de temps de travail effectif si :

  • le salarié est soumis à des contraintes d’une particulière intensité ;
  • qui ont pour conséquence que sa faculté de gérer librement son temps a été significativement et objectivement affectée.

En statuant ainsi, la Haute juridiction reprend le raisonnement qui a été tenu à l’occasion de deux arrêts rendus le 9 mars 2021 par la Cour de justice de l’Union européenne.[3] En d’autres termes, même lorsque le salarié ne se trouve pas en période d’intervention, la période d’astreinte peut être requalifiée en temps de travail effectif, lorsque les critères précités sont réunis. Sur le plan pratique, cela entraînera des conséquences :

  • Sur l’appréciation des durées de repos quotidien et hebdomadaire ;
  • Le décompte du temps de travail ;
  • L’obligation de sécurité de l’employeur ;
  • Le paiement éventuel d’heures supplémentaires.

L’employeur devra, ainsi, être vigilant aux sujétions qu’il impose au salarié d’astreinte, comme par exemple, un salarié gardien d’immeuble d’astreinte dans un logement de fonction ou un salarié d’une entreprise de télécommunication amené à résoudre des problématiques à distance en étant d’astreinte à son domicile.

Ainsi, outre le suivi des temps d’intervention à l’occasion de la mise en œuvre des astreintes, il pourrait être judicieux pour l’employeur de mettre en place un système de suivi de la fréquence des interventions.

La mise en place d’un tel système est d’autant plus pertinente que la Cour de cassation a récemment énoncé que le dépassement de la durée maximale de travail causait un préjudice automatique au salarié (i.e. que ce dernier n’a donc pas besoin de prouver), ce qui lui permet de solliciter une indemnisation à cet égard devant les juridictions.[4]

 

[1]https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046510365?init=true&page=1&query=2114.178&searchField=ALL&tab_selection=all

[2] Art. L 3121-9 du code du travail

[3]  CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19 et C-580/19

[4] Cass., soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636