Contrats publics
le 12/12/2024
Emeline CHAZAUD
Léa GIRARD

Pénalités en délégation de service public : effets de la substitution d’une société ad hoc et application du délai Czabaj

CAA Toulouse, 19 mars 2024, n° 23TL01382

CAA Toulouse, 1er octobre 2024, n° 23TL01797

Par deux arrêts du 19 mars 2024 et du 1er octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse a précisé que la substitution d’une société ad hoc dans les droits et obligations du titulaire initial d’une convention de délégation de service public impliquait le transfert des droits et obligations résultant des titres de recettes émis avant la date d’effet de la substitution. Par suite, elle a jugé que la possibilité de contester les titres de recettes appartenait en tant que débitrice à la seule société ad hoc.

En l’espèce, le Département du Tarn a conclu avec la société SFR une convention de délégation de service public ayant pour objet la conception, l’établissement et l’exploitation d’un réseau de communications électroniques à très haut débit. Compte tenu des difficultés rencontrées dès les premiers mois d’exécution de la convention, le Département du Tarn a été contraint d’appliquer des pénalités de retard et d’émettre des titres de recettes à l’encontre de la société SFR, titulaire initial de la convention.

Postérieurement à l’émission de ces titres de recettes et conformément aux stipulations de la convention de DSP, une société ad hoc, dénommée Tarn Fibre, s’est substituée dans les droits et obligations de la société SFR. A la suite de cette substitution, la société SFR a sollicité, lors d’une première instance, l’annulation des titres de recette émis à son encontre. Cette demande a été rejetée par des jugements n°s 2103714, 2103732 et 2103133 du 17 mai 2023 du Tribunal administratif de Toulouse, au motif que la société SFR était dépourvue d’intérêt à agir. La société SFR a interjeté appel de ces jugements devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a suivi le raisonnement des premiers juges qui ont retenu l’irrecevabilité soulevée en défense par le Département du Tarn. Dans ces deux arrêts, la cour a relevé que les stipulations de la convention de DSP consacraient le principe d’un transfert des droits et obligations acquis par la société SFR au profit de la société Tarn Fibre, nouveau délégataire. Elle en a déduit que « les droits et obligations découlant de l’émission de ces titres ont été transférés à la société Tarn Fibre dès la date de prise d’effet de la substitution et le recouvrement des sommes correspondantes ne peut, depuis, être poursuivi qu’auprès d’elle. Par suite, la possibilité de contester les titres litigieux en tant que débitrice appartient à la seule société Tarn Fibre, qui l’a du reste fait dans le cadre d’autres instances. Par conséquent, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société SFR était dépourvue d’intérêt à agir. »

La Cour administrative d’appel de Toulouse a appliqué les principes dégagés par le Conseil d’Etat[1] relatifs à la substitution de cocontractant et aux effets attachés à la cession des marchés publics et des délégations de service public.

Par ailleurs, prenant acte du rejet des recours de la société SFR pour irrecevabilité, la société Tarn Fibre a décidé de saisir elle-même le Tribunal administratif de Toulouse et ainsi de solliciter l’annulation des titres de recettes émis initialement à l’encontre de la société SFR. Par deux ordonnances du 26 juin 2024[2], le Tribunal administratif de Toulouse a retenu, une nouvelle fois, la fin de non-recevoir opposée par le Département du Tarn et a rejeté pour irrecevabilité manifeste les requêtes de la société Tarn Fibre.

Le Tribunal administratif de Toulouse a fait application du principe de sécurité juridique tiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat « Czabaj »[3] pour rejeter la demande de la requérante. Le tribunal rappelle ainsi que ne peut « être contestée indéfiniment un décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ». En effet, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse a été notifiée, ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance, ceci nonobstant l’absence de mention des délais et voies de recours dans une décision administrative.

S’agissant des titres exécutoires contestés, le Tribunal administratif de Toulouse considère qu’il résulte de l’instruction que la société Tarn Fibre a effectivement eu connaissance de ces derniers au plus tard le 15 avril 2022, date à laquelle la requérante avait adressé une réclamation à la paierie départementale du Tarn tendant à la contestation d’une compensation opérée par le payeur départemental du Tarn entre une somme qui lui était contractuellement due et celle résultant de plusieurs titres de perception émis en 2020, dont ceux en litige. Le juge de première instance concluait donc que le recours contentieux contre les titres de recettes contestés aurait dû s’exercer dans le délai raisonnable d’un an à compter du 15 avril 2022, et que la requête enregistrée le 24 juillet 2023 était donc manifestement tardive.

Cette dernière tentative de recours à l’encontre des titres de recettes émis par le Département du Tarn aura été l’occasion pour le Tribunal administratif de Toulouse d’illustrer l’application de la jurisprudence Czabaj aux recours dirigés contre des titres de recettes.

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[1]CE, section des finances, avis du 8 juin 2000, n° 364803

[2] TA Toulouse, ordonnances n° 2303654 et n° 2305355 du 26 juin 2024

[3] CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763