Contrats publics
le 16/06/2022

Pas de remplacement en cours d’exécution d’un marché public d’un autre opérateur à l’un des membres du groupement d’opérateurs titulaires sans mise en concurrence

CE, 16 mai 2022, n° 459408

Dans cette affaire, le Groupe hospitalier du sud de l’Ile-de-France (ci-après GHSIF) a conclu, en 2019 avec un groupement conjoint composé de cinq sociétés, un marché public d’assurance responsabilité civile et risques annexes, pour une durée de trois ans.

En 2021, l’une des entreprises composant ce groupement a informé le GHSIF de son intention de « résilier le marché d’assurance de responsabilité civile ». Le GHSIF a, alors, conclu avec le mandataire de ce groupement un avenant ayant pour objet de substituer un nouvel opérateur économique à cette société, pour la durée restant à courir du marché.

Considérant que la passation de cet avenant était irrégulière, la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM), entreprise concurrente, a saisi le juge du référé contractuel, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-13 du Code de justice administrative, d’une demande tendant à l’annulation de cet avenant. A la suite du rejet de sa demande, la SHAM a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Melun.

Cet arrêt a, tout d’abord, été l’occasion pour le Conseil d’Etat d’apporter des précisions sur les compétences du juge du référé contractuel. Il a, ainsi, décidé, comme en matière de référé précontractuel (voir en ce sens, CE 11 juillet 2008, Ville de Paris, n° 312354), que le juge du référé contractuel n’est compétent pour statuer sur un avenant à un contrat que lorsque la conclusion d’un tel accord était soumise aux règles de publicité et de mise en concurrence. En principe, l’avenant légal qui n’est pas soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence, n’entre pas dans le champ du référé contractuel.

Le Conseil d’Etat s’est, ensuite, prononcé sur la régularité de l’avenant conclu entre le GHSIF et le mandataire du groupement d’entreprises titulaires.

Après avoir rappelé le contenu des articles L. 2194-1 et R. 2194-5 à R. 2194-7 du Code de la commande publique relatives aux modifications du marché autorisées, le Conseil d’Etat a décidé que « la substitution, au cours de l’exécution d’un marché passé avec un groupement d’opérateurs économiques, lequel n’est pas doté de la personnalité juridique, d’un ou de plusieurs des membres de ce groupement par un ou plusieurs autres opérateurs économiques constitue une modification du titulaire du marché qui ne peut valablement avoir lieu sans mise en concurrence que dans les cas prévus par les dispositions de l’article L. 2194-1 du code de la commande publique ».

Il a considéré qu’en jugeant que la substitution de l’un des membres du groupement titulaire du marché effectuée par l’avenant ne constituait pas une modification du titulaire du marché soumise aux dispositions précitées du Code de la commande publique dès lors que cette modification ne concernait qu’un membre du groupement et que son mandataire n’avait pas changé, le juge des référés du Tribunal administratif avait commis une erreur de droit.

Selon le Conseil d’Etat, le remplacement d’un opérateur au sein d’un groupement d’entreprises, dont chacun des membres à la qualité de cocontractant de l’administration, doit être analysé comme un changement de titulaire qui ne peut avoir lieu que dans les cas et conditions prévus à l’article R. 2194-6 du Code de la commande publique (« 1° En application d’une clause de réexamen ou d’une option conformément aux dispositions de l’article R. 2194-1 ; / 2° Dans le cas d’une cession du marché, à la suite d’une opération de restructuration du titulaire initial, à condition que cette cession n’entraîne pas d’autres modifications substantielles et ne soit pas effectuée dans le but de soustraire le marché aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Le nouveau titulaire doit remplir les conditions qui avaient été fixées par l’acheteur pour la participation à la procédure de passation du marché initial. »).

Le Conseil d’Etat a, en conséquence, estimé que la SHAM était fondée à soutenir qu’en procédant au remplacement d’un des membres du groupement titulaire sans mise en concurrence, le GHISF avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Estimant qu’en l’espèce, une raison impérieuse d’intérêt général, tenant notamment à l’obligation légale faite aux établissements de santé de disposer d’une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile, se heurtait à l’annulation des dispositions litigieuses de l’avenant, le Conseil d’Etat a uniquement fait application des dispositions de l’article L. 551-19 du Code de justice administrative et a infligé au GHSIF une pénalité financière de 5 000 euros.

Ce faisant, le Conseil d’Etat analyse désormais les évolutions affectant la situation du titulaire d’un marché public selon les termes, non plus de sa conception traditionnelle de la cession de contrat synthétisée dans son avis du 8 juin 2000, mais du droit européen, tel qu’initié par l’arrêt « Pressetext »[1] du 19 juin 2008 de la Cour de justice des communautés européennes. Cet arrêt avait changé de perspective en ne focalisant plus la problématique sur la notion de cession mais sur celle de substitution du cocontractant, dont le Professeur RICHER avait souligné « la conception plus économique que juridique du changement de cocontractant »[2].

 

Tant le droit européen, au titre du d) du 4. de l’article 72 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 que le droit national, au titre de l’article L. 2194-1 et du 4° de l’article R. 2194-7 du Code de la commande publique, considèrent que la substitution d’un nouveau contractant à celui auquel le pouvoir adjudicateur a initialement attribué le marché public constitue une modification substantielle dudit marché, laquelle ne peut être avoir lieu sans mise en concurrence que dans les cas limitativement énumérés par les textes.

 

[1] CJCE, 19 juin 2008, Pressetext, Aff. C‑454/06.

[2] L. Richer, l’avis du Conseil d’État du 8 juin 2000 sur la cession de contrat : quinze ans après, AJDA, 2014, p. 1925.