Urbanisme, aménagement et foncier
le 14/03/2024

Pas de droit à indemnité en cas d’expropriation d’une construction irrégulièrement édifiée malgré la prescription pénale

Cass. Civ., 3ème, 15 février 2024, n° 22-16.460

Dans cette affaire, le préfet a déclaré d’utilité publique un projet d’aménagement de zone d’aménagement concerté (ZAC) sur le territoire de deux communes, puis a déclaré immédiatement cessibles les terrains concernés, comprenant notamment une parcelle appartenant à un particulier sur laquelle était édifié un bâtiment de 20 m². L’ordonnance d’expropriation est intervenue et faute d’accord amiable sur le montant des indemnités de dépossession, l’expropriant a saisi le juge de l’expropriation.

En appel, la Cour d’appel de Paris a constaté l’irrégularité de la construction édifiée sur une parcelle inconstructible à exproprier, et a rappelé que ne donne pas droit à indemnisation le préjudice afférent à une construction édifiée illégalement, sauf si l’infraction est prescrite. La Cour a en outre retenu que la construction était présente depuis plus de dix ans et que des poursuites judiciaires pour infractions au Code de l’urbanisme ont été engagées contre elle. Mais la Cour d’appel de Paris a jugé qu’il existait une contestation sérieuse sur le fond du droit qui nécessitait que le montant de l’indemnité soit fixé alternativement.

Le pourvoi en cassation fait donc grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir fixé alternativement les indemnités devant revenir à l’exproprié selon que le caractère illégal de la construction présente sur le terrain à exproprier sera ou non judiciairement reconnu. En réponse, la Cour de cassation a, d’abord, visé et résumé les articles L. 311-8 et L. 321-1 du Code de l’expropriation. Pour rappel, selon l’article L. 311-8 du Code :

« Lorsqu’il existe une contestation sérieuse sur le fond du droit ou sur la qualité des réclamants et toutes les fois qu’il s’élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l’indemnité et à l’application des articles L. 242-1 à L. 242-7L. 322-12L. 423-2 et L. 423-3, le juge fixe, indépendamment de ces contestations et difficultés, autant d’indemnités alternatives qu’il y a d’hypothèses envisageables et renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit ».

Et selon l’article L. 321-1 du même Code :

« Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation. »

Puis, la Cour de cassation a rappelé sa position constante sur ces fondements, à savoir que « seul peut être indemnisé le préjudice reposant sur un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation (3e Civ., 3 décembre 1975, pourvoir n° 75-70.061, Bull. n°361 ; 3e Civ., 8 juin 2010, pourvoi n° 09-15.183 ; 3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.792, publié). » Toutefois, l’on relève ici que la Cour de cassation en conclut que si l’exproprié est propriétaire d’une construction irrégulièrement édifiée sur une parcelle inconstructible, et même si toute action en démolition est prescrite à la date de l’expropriation, celui-ci ne sera pas considéré comme disposant d’un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation, et donc devant être indemnisé :

« Dès lors, faute pour son propriétaire de pouvoir invoquer un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation, la dépossession d’une construction édifiée irrégulièrement et située sur une parcelle inconstructible, n’ouvre pas droit à indemnisation, même si toute action en démolition est prescrite à la date de l’expropriation. »

A l’inverse, antérieurement à cette décision, la jurisprudence considérait que ne donne pas droit à indemnisation le préjudice afférent à une construction édifiée sans permis de construire, sauf si l’infraction pénale est prescrite (voir sous article L. 321-1 du Code de l’expropriation commenté : Versailles, ch.expr., 16 mai 1978, SCI Gallieni c/ Ville de Malakoff : D. 1978, inf. rap.p.475, chron. A.Bernard ; TGI Paris, 9 juill. 1980, Ville de Paris c/ Concalves : AJPI 1981, p.977 ; CA Versailles, 15 mars 1982, Epx Drion c/ Cne d’Arnouville-lès-Goness : AJPI 1982, p.670 ; CA Versailles, 26 oct. 1982, Sté d’Aménagement et d’Equipement du département d’Eure-et-Loir c/ Epx Ras : AJPI 1983, p.23 ; JurisData n° 1982-600002 ; TGI Paris, 30 nov.1987,  SI du Nord-Est de Paris c/ Ville de Paris : AJPI 1988, p.525 ; CA Paris, 7 juill.1989, Pedro c/ SAMBOE : JCP G 1989, IV, 372 ; CA Versailles, 13 juin 1995, n° S 94/215, Sté SEMAVO c/ Sté CEO : JurisData n° 1995-047565).

Désormais, il faut donc en comprendre, selon nous, que la circonstance que l’infraction pénale de construction illégale est prescrite, ne donne pas de droit juridiquement protégé au propriétaire d’une construction édifiée sans autorisation lui permettant d’en solliciter l’indemnisation devant le juge de l’expropriation. La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel au motif qu’il a violé les dispositions précitées et a statué sur le fond de l’affaire. Par conséquent, la Cour de cassation a fixé une indemnité de dépossession devant revenir à l’exproprié en faisant fi de la construction présente sur la parcelle, en l’évaluant sur la base d’un terrain nu.

Enfin, nous pouvons également citer une décision récente allant dans le même sens de la Cour de cassation du 9 novembre 2023 (Cass. Civ., 3ème, n° 22-18.545) dans laquelle la Cour de cassation a considéré que c’était à bon droit que la Cour d’appel avait, après avoir relevé qu’une partie significative des constructions avait été édifiée sans permis de construire, jugé qu’il ne s’agissait pas d’une contestation sérieuse à trancher, et qu’il y avait donc lieu d’appliquer un abattement sur la valeur du bien pour tenir compte de l’illicéité des constructions, laquelle constituait une moins-value « quand bien même la prescription de l’action en démolition était acquise ».