Propriété intellectuelle
le 12/06/2025
Audrey LEFEVRE
Gabrielle LAMBERT

Pas de cession automatique des droits voisins des artistes interprètes d’un orchestre national au profit de l’Etat

CJUE, 6 mars 2025, n° C-575/23

L’artiste interprète dispose de droits exclusifs sur son interprétation au titre du droit voisin, qui lui permet de s’opposer ou d’autoriser la représentation et la reproduction de son interprétation d’une œuvre, moyennant rémunération. En ce sens, le droit de l’Union européenne pose le principe de consentement préalable à toute exploitation de l’interprétation d’un artiste interprète.

Ce principe était strictement respecté par l’Orchestre National de Belgique (ONB) : l’exploitation des droits voisins des musiciens de l’ONB était négociée au cas par cas au sein d’un comité de concertation pour parvenir à une rémunération équitable, à l’issue de discussions entre les délégations syndicales des musiciens et l’ONB. Ces négociations n’ayant pas abouti en 2021, l’Etat belge a pris un arrêté royal[1] imposant la cession de l’ensemble des droits des musiciens de l’orchestre pour les prestations qu’ils réaliseraient dans le cadre de leur mission.

Plus précisément, l’arrêté précise que l’artiste interprète cède à l’ONB, en contrepartie d’allocations compensatoires, les droits voisins portant sur ses prestations réalisées dans le cadre de sa mission au service de cet orchestre, ce qui comprend le droit de communication au public ainsi que les droits de reproduction et de distribution dont les musiciens de l’ONB sont titulaires, pour toute la durée des droits voisins et pour le monde entier.

En désaccord avec cet arrêté, certains musiciens ont saisi le Conseil d’Etat belge d’un recours en annulation qui a, à son tour, saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de questions préjudicielles visant à déterminer si la cession au profit de l’employeur, par la voie réglementaire, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous un statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable, était compatible avec le droit de l’Union.

En l’occurrence, les questions préjudicielles portaient sur l’interprétation des dispositions de la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (dite « DAMUN »)[2], et visent en particulier à déterminer si ces textes s’opposent à la cession, par la voie réglementaire, au profit de l’employeur, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable.

La Cour relève, tout d’abord, que le statut de droit administratif des musiciens de l’ONB n’a pas d’incidence sur leur qualification juridique d’« artistes-interprètes ou exécutants ». La protection qui leur est conférée est de nature préventive en ce sens que l’utilisation de leurs interprétations requiert leur consentement préalable. Ainsi, la Cour conclut que les dispositions du droit de l’UE précitées s’opposent, en l’absence de consentement préalable des titulaires des droits, à la cession, par la voie réglementaire, des droits exclusifs qui y sont visés, à moins qu’une telle cession ne relève de l’une des exceptions ou limitations prévues par ces directives, ce qui n’est pas le cas en l’espèce[3]. Ainsi, pas de cession automatique sans consentement, même en présence d’une personne publique.

Si cette décision apparait cohérente face à la protection des auteurs et des artistes-interprètes, l’on peut d’interroger quelle aurait été la position des juridictions françaises dans une situation similaire du fait du régime dérogatoire au droit d’auteur posé par l’article L. 131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle français qui permet une cession légale et automatique des droits d’auteur des agents publics pour les œuvres créées dans le cadre de leur mission, sans y avoir consenti préalablement.

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[1] Arrêté royal relatif aux droits voisins du personnel artistiques de l’Orchestre national de Belgique du 1er juin 2021, entré en vigueur le 4 juin 2021

[2] Directive (UE) 2019/790 du parlement européen et du conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, complétant notamment la directive 2001/29/CE du parlement européen et du conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information et la directive 2006/115/CE du 12 décembre 2006 relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle

[3] Articles 5 de la directive 2001/29 et article 10 de la directive 2006/115.