Mobilité et transports
le 12/07/2022

Ouverture à la concurrence des services TER : la Cour d’appel de Paris vient apporter de nouveaux éclairages sur l’obligation de transmission des données par SNCF voyageurs à l’autorité organisatrice des transports

Décret n° 2019-851 du 20 août 2019 relatif aux informations portant sur les services publics de transport ferroviaire de voyageurs et aux éléments nécessaires à l'exploitation des matériels roulants transférés, et à la protection des informations couvertes par le secret des affaires (ci-après le « Décret du 20 aout 2019 »)

Décision n° 2020-044 du 30 juillet 2020 portant règlement du différend entre la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs concernant la transmission d’informations relatives à l’organisation ou à l’exécution des services publics de transport ferroviaire de voyageurs et aux missions faisant l’objet du contrat de service public conclu entre la région et SNCF Voyageurs

Décision n° 2022-001 du 4 janvier 2022 portant mise en demeure de SNCF Voyageurs pour non-respect de la décision n° 2020-044 du 30 juillet 2020 portant règlement du différend entre la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs concernant la transmission d’informations relatives à l’organisation ou à l’exécution de services publics de transport ferroviaire de voyageurs et aux missions faisant l’objet du contrat de service public conclu entre la région et SNCF Voyageurs

CA Paris Ordonnance, 18 novembre 2020, n° 20/121577

CA Paris, 23 juin 2022, n°20/121577

 

La communication des informations par le titulaire sortant constitue toujours l’un des sujets les plus sensibles pour les autorités en charge du service public. Il appartient en effet à ces dernières de continuer à maitriser le fonctionnement du service public dont elles ont la charge. C’est encore plus vrai lors du renouvellement du contrat portant gestion du service public et, particulièrement, lorsque l’opérateur en place est en situation monopolistique. Et, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des services TER, cela devient l’élément central permettant d’assurer une parfaite mise en concurrence.

Or, si l’article L. 2121-19 du Code des transports et le décret du 20 août 2019 fixent le cadre légal et règlementaire de la transmission des données détenues par SNCF Voyageurs (notamment) aux AO ferroviaires, un certain nombre de précisions doivent encore être apportée.

Et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 23 juin 2022 opposant SNCF Voyageurs à l’Autorité de Régulation des Transports, d’une part, et à la Région des Hauts de France, d’autres part ; vient apporter d’utiles éclairages.

L’Autorité de Régulation des Transports (ART) a, par une décision du 30 juillet 2020 sur saisine de ladite Région, enjoint à SNCF Voyageurs de communiquer à cette dernière certaines informations relatives au service public de transport ferroviaire régional de voyageurs, conformément à l’article L. 2121-19 du Code des transports.

Cette première décision de l’ART du 30 juillet 2020, a fait l’objet d’un recours en annulation et en réformation devant la Cour d’appel de Paris ainsi que d’une requête en référé aux fins de sursis à exécution par SNCF Voyageurs.

S’agissant de l’instance en référé, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande de sursis à exécution de la décision attaquée, par une ordonnance du 18 novembre 2020.

Malgré cette ordonnance de rejet et faute, pour SNCF Voyageurs, de se conformer pleinement à la décision, l’ART a édicté une nouvelle décision le 4 janvier 2022[1], par laquelle, cette fois-ci, elle met en demeure SNCF Voyageurs de communiquer, dans un délai d’un mois, certaines informations à la Région.

Quelques mois plus tard, le 23 juin 2022, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le recours en annulation de la première décision de l’ART en date du 30 juillet 2020, introduit par SNCF voyageurs.

Cet arrêt apporte de nombreux enseignements sur l’office de l’ART – et du juge – s’agissant du contrôle opéré en matière de communications de données. Il permet d’appréhender la méthode utilisée par la Cour pour apprécier le caractère communicable ou non des informations. Dans le cadre de la présente brève, nous présenterons les apports les plus structurants :

 

  • Sur le lien entre les informations communicables et les procédures de mise en concurrence :

SNCF Voyageurs soutenait que seules les informations « nécessaires » à l’organisation des futurs appels d’offres devaient être communiquées aux AOT. Et elle soutenait également que la liste des informations figurant en annexe 1 du décret du 20 août 2019 constituerait la liste des documents faisant l’objet d’une présomption d’utilité pour la mise en concurrence.

La Cour rejette cette interprétation et rappelle que SNCF Voyageurs doit communiquer à l’AOT compétente toutes les informations relatives à l’organisation et l’exécution des services concernés et des missions de service public, sans que les conditions de mise en concurrence n’entrent en ligne de compte (aucune autre interprétation n’est possible selon la Cour, les travaux parlementaires confortent cette position). Et la Cour souligne que la liste des informations figurant en annexe du décret du 20 août 2019 constitue une liste de catégories d’informations faisant partie, de manière irréfragable, de celles qui doivent être transmises à l’autorité organisatrice en application de ce principe, sans que le fournisseur d’informations puisse invoquer le secret des affaires pour faire obstacle à leur transmission (point 190).

 

  • Sur la limite temporelle des informations transmises :

Rappelons que l’article 2,II, du décret du 20 aout 2019, prévoit que seules les informations antérieures de moins de trois ans à la date de la demande ou, si elle est plus ancienne, à la date du début d’exécution du contrat de service public en cours peuvent être demandées.

Les Parties étaient en désaccord sur les conditions d’application de cette disposition aux informations relatives à l’historique de la maintenance des matériels roulants.

SNCF Voyageurs considérait que cette disposition trouvait strictement à s’appliquer à ces informations.

La Région des Hauts de France et l’ART considéraient, elles, qu’en application du paragraphe 7 du Règlement (UE) 2019/779, SNCF Voyageurs devait produire toutes les versions successives du dossier d’entretien du matériel roulant, sans limite de durée.

Sur ce point, la Cour constate qu’il n’y a pas lieu, à ce stade de la procédure, de faire application du règlement. Par conséquent, la limite temporelle visée à l’article 2 II du décret du 20 aout 2019 trouve à s’appliquer.

 

  • Sur la communication d’informations prévisionnelles :

La Région avait demandé à SNCF Voyageurs la communication d’informations prévisionnelles au titre des années ultérieures. SNCF Voyageurs contestait devoir ces informations en considérant qu’elles étaient postérieures à la demande. L’ART avait rejeté cet argument en considérant qu’il ne s’agissait pas, à proprement parler, d’informations postérieures puisqu’elles avaient été établies durant l’année précédant la demande en intégrant des projections pour les années suivantes.

La Cour valide la position de l’ART. Elle juge que la transmission d’informations prévisionnelles afin d’anticiper les besoins du service dans la durée et de définir des critères d’attribution sur la base d’informations les plus pertinentes possibles est indispensable pour permettre aux AOT de disposer d’une vision globale des coûts de service public et que tel est notamment le cas des données financières dans la vision prévisionnelle. Elle note également que ces informations ont été générées antérieurement à la demande. Elle rejette donc le moyen soulevé par SNCF Voyageurs.

 

[1] Dans le cadre d’une procédure en manquement pour méconnaissance de la décision de l’Autorité du 30 juillet 2020