Voici un arrêt des plus explicite qui souligne, au titre du cumul idéal d’infractions entre l’outrage (infraction de droit commun) et l’injure (infraction de presse), le recul du champ d’application de cette seconde infraction – circonstance assez rare pour qu’elle soit remarquée ! La jurisprudence n’est pourtant pas nouvelle (Crim., 26 octobre 2010, n°09-88.460 ; Crim., 1 mars 2016, n°15-82.824).
Gardons à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un cumul réel, car pour un même propos invectivant ou insultant les qualifications sont incompatibles et exclusives l’une de l’autre. En somme, en cas d’invective, il faut choisir et, en cas de doute, retenir l’injure quitte à solliciter au besoin une requalification.
Il est vrai que la distinction entre les deux n’est pas aisée, d’autant plus que la définition de l’injure – marquée par « l’introgression » de l’adjectif qualificatif « outrageante » au sein de l’élément matériel du délit de presse – n’est pas pour aider les justiciables : « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure » (article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881).
L’article 434-24 du Code pénal donne de l’outrage à magistrat la définition suivante : « (…) paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l’envoi d’objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi ».
L’article 433-5 alinéa 1er du Code pénal donne de l’outrage à personne chargée d’une mission de service public la définition suivante : « (…) les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie »
En comparant les deux textes, il n’y a guère de place à un cumul idéal d’infraction que pour des invectives ou des insultes qui auraient pour support d’expression la parole ou l’écrit dont l’image, les infractions de presse ne pouvant être consommées par le geste ou la remise d’un objet.
Dans ce cadre, les deux textes sur l’outrage donnent des critères cumulatifs de distinction :
- Le critère de publicité, l’outrage reposant sur un support non public d’expression ;
- Le critère interpersonnel, c’est-à-dire le choix du prévenu d’adresser directement ses insultes ou ses invectives à sa victime ou à l’un de ses rapporteurs nécessaires.
Ainsi, nous serions tentés de conclure qu’une invective relève de l’outrage et non de l’injure si elle n’est pas publique (aucun des vecteurs de publicité de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 n’a été utilisé par l’auteur des propos) et si les propos ont été adressés à la victime ou à un rapporteur nécessaire de cette victime.
Toutefois, le critère de la publicité est en réalité un faux critère et la décision commentée nous le démontre une fois de plus :
- D’abord, ce critère de publicité ne permet pas de résoudre le conflit idéal d’infraction entre l’injure non publique et l’outrage ; ce conflit de qualification entre le délit d’outrage par écrit non rendu public et la contravention de première classe d’injure non publique est en vérité réglé en faveur de l’outrage par le critère interpersonnel (, 24 janvier 1991, n° 87-90.214) ;
- Ensuite, il existe des cas où des propos, même rendus publics au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, constitueront un outrage ; tel est le cas dans l’espèce commentée où un justiciable mécontent avait diffusé sur sa page Facebook publique une vidéo dans laquelle il s’adressait au magistrat en ces termes « vous êtes des guignols, des nuls, imperformants, inefficaces, dangereux, vous êtes dangereuse madame la juge », en la qualifiant de « folle » et « criminelle » et en ajoutant « ça va très mal se passer (…) je vous le dis madame la juge, je vous le dis dans les yeux ».
Et la Cour de cassation de conclure : « 9. Toute expression outrageante, qu’elle s’adresse directement ou par la voie d’un rapporteur nécessaire à un magistrat de l’ordre judiciaire, dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice, entre dans les prévisions de ce texte, même si elle présente un caractère public ».
C’est d’ailleurs ce même critère interpersonnel propre à l’outrage qui, selon le Conseil constitutionnel, rend les textes d’incrimination parfaitement constitutionnels puisque suffisamment distincts dans leur élément matériel (Cons. const. 9 avril 2021, n°2021-896 QPC).
Certains objecteront que l’arrêt est rendu au visa du seul article 434-24 du Code pénal et qu’il s’agirait ainsi d’une décision propre à l’infraction d’outrage à magistrat… Donc impossible d’étendre sa portée aux faits relevant de l’article 433-5 sur l’outrage à personne chargée d’une mission de service public (tel qu’un agent public ou un élu).
La critique est ferme, certes !
Mais néanmoins, une lecture attentive des deux textes démontre – ce que le Conseil constitutionnel soulignait lui-même en 2021 – une similarité de rédaction de l’élément matériel.
La forte ressemblance est telle qu’elle n’a pu être que délibérément voulue par le législateur. Dès lors, il semble possible, sans trop de risque et sans pour autant encourir la colère de la déesse Thémis, de tenir un raisonnement par analogie même si l’on connaît le sort habituellement réservé par le Droit pénal et la Pratique à ce mode d’interprétation.
Enfin, l’intérêt stratégique de cette extension pourrait être de taille, du moins tant que la Chambre criminelle admettra que le délit d’outrage n’est pas impacté par le champ d’application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (Crim., 29 mars 2017, n°16-80.637).
L’invective publique d’un élu ou d’un agent public personnellement reçue sur les réseaux sociaux pourrait alors échapper à la dureté juridique des infractions de presse et permettre – pour une plus grande défense de nos valeurs républicaines – une juste sanction.