Droit pénal et de la presse
le 16/06/2022
Matthieu HÉNON
Antoine MARCHAND

Psychiatrie : modification du régime de l’isolement et de la contention

Loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le Code de la santé publique

Au Journal officiel en date du 23 janvier 2022 a été publiée la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le Code de la santé publique ; son article 17 fait par ailleurs notablement évoluer le régime de l’isolement et de la contention dans le secteur psychiatrique tant sur ses fondements et sa temporalité (1.) que sur le recours au juge qui la contrôle (2.).

  1. Sur le fond, l’article 17 emporte tout d’abord plusieurs modifications de l’article L. 3222-5-1 du Code de la Santé publique, dont les dispositions avaient pour mémoire été introduites par la loi du 26 janvier 2016 et modifié par la loi du 14 décembre 2020 afin d’encadrer la pratique de la mise à l’isolement et de la contention des malades, compte tenu de leur caractère intrinsèquement attentatoire aux libertés individuelles.

Rappelons également que la Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà été amenée à prononcer des condamnations à raison du caractère arbitraire de telles mesures (CEDH, 19 févr. 2015, M.S. c/ Croatie, n° 75450/12 ; CEDH, 18 oct. 2012, Bures c/ République Tchèque, n° 37679/08 ; CEDH, 15 sept. 2020, Aggerholm c/ Danemark, n° 45439/18,).

En droit interne, le Conseil constitutionnel avait censuré, dans le cadre d’une Question prioritaire de constitutionnalité, l’article L. 3222-5-1 tel qu’il résultait de la loi du 14 décembre 2020 en ce qu’il ne prévoyait pas de contrôle judiciaire des mesures de mise à l’isolement ou de contention :

« 7. Si l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Dès lors, en ce qu’elles permettent le placement à l’isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution.

      1. En revanche, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à l’isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution.
      2. Par conséquent et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, le premier alinéa de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique doit être déclaré contraire à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, des deux autres alinéas de cet article » (Cons. const., 4 juin 2021, n° 2021-912, 2021-913 et 2021-914 QPC).

Le législateur avait opéré une première tentative de réforme du texte dans le cadre de l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2022, mais celle-ci avait alors été censurée par le Conseil constitutionnel (Cons. Const., 16 déc. 2021, n° 2021-832 DC).

C’est donc dans ce contexte qu’intervient, par l’effet de la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire, la réécriture de l’article 3222-5-1 du Code de la santé publique en instaurant un encadrement plus strict des mesures d’isolement et de contention.

Cet encadrement se veut tout d’abord de nature matérielle. En effet, le nouvel article restreint le champ d’application de l’isolement et de la contention en prévoyant que ces mesures ne peuvent être mises en place qu’en dernier recours et à l’égard de personnes admises en soins psychiatriques sans consentement :

« L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement ».

Ce faisant, toute mesure d’isolement ou de contention doit donc être précédée d’une procédure de placement en soins psychiatriques sans consentement et, partant, respecter les prescriptions prévues aux chapitres II et III du livre II de la troisième partie du Code de la santé publique (articles L. 3212-1 à L. 3212-12). Elle demeure conditionnée par l’existence d’une décision motivée d’un psychiatre et par un critère de nécessité et de proportionnalité ; elle doit enfin faire l’objet d’une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, traçable par des professionnels de santé.

Comme auparavant, toute mesure d’isolement ou de contention doit être consignée dans un registre tenu à disposition de diverses autorités et l’établissement doit établir annuellement un rapport rendant compte de ses pratiques et de sa politique en la matière :

« Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d’hospitalisation, la date et l’heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1 ».

La finalité poursuive par de telles mesures d’isolement et de contention est également encadrée – elle l’était certes déjà sous l’empire de l’ancien texte mais celle-ci est précisée :

« il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ».

Les mesures d’isolement et de contention font enfin l’objet d’un encadrement temporel et l’article L. 3222-5-1 prévoit désormais que, en principe, l’isolement est limité à 12 heures et peut être renouvelé pour une durée totale de 48 heure maximum. La contention est quant à elle limitée à 6 heures et peut être renouvelée pour une durée totale de 24 heures :

« La mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée, dans les conditions et selon les modalités prévues au premier alinéa du présent I, dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures, et fait l’objet de deux évaluations par vingt-quatre heures.

La mesure de contention est prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de six heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée, dans les conditions et selon les modalités prévues au même premier alinéa, dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre heures, et fait l’objet de deux évaluations par douze heures ».

A titre exceptionnel, ces mesures peuvent être prolongées au-delà de ces durées maximales – dans la limite de 48 heures (contention) ou de 72 heures (isolement), le texte prévoyant une saisine automatique du Juge des Libertés et de la Détention (ci-après le JLD) au-delà de ce délai (cd. § ii.) – par le médecin au regard de ces mêmes critères.

Le directeur de l’établissement doit alors en informer sans délai le JLD du renouvellement de ces mesures [1] ; le JLD peut alors se saisir d’office pour y mettre fin.

 

 

2. L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique prévoit en tout état de cause une saisine obligatoire du JLD lorsque la contention dépasse 48 heures et l’isolement 72 heures. Le JLD doit alors autoriser la prolongation des mesures :

« Le directeur de l’établissement saisit le juge des libertés et de la détention avant l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement ou de la quarante-huitième heure de contention, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de ces durées.

Le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter du terme des durées prévues au deuxième alinéa du présent II ».

Ainsi saisi, le JLD doit alors déterminer si les conditions ayant motivé le placement en isolement ou en contention sont toujours réunies. Autrement dit, il doit s’assurer que les mesures permettent toujours de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient.

Si ces conditions ne sont plus réunies :

 « Il ordonne la mainlevée de la mesure. Dans ce cas, aucune nouvelle mesure ne peut être prise avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures à compter de la mainlevée de la mesure, sauf survenance d’éléments nouveaux dans la situation du patient qui rendent impossibles d’autres modalités de prise en charge permettant d’assurer sa sécurité ou celle d’autrui. Le directeur de l’établissement informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la nouvelle mesure ».

En revanche, si ces conditions lui apparaissent réunies :

« Le juge des libertés et de la détention autorise le maintien de la mesure d’isolement ou de contention. Dans ce cas, le médecin peut la renouveler dans les conditions prévues audit I et aux deux premiers alinéas du présent II. Toutefois, si le renouvellement d’une mesure d’isolement est encore nécessaire après deux décisions de maintien prises par le juge des libertés et de la détention, celui-ci est saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter de sa précédente décision et le médecin informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical. Le juge des libertés et de la détention statue avant l’expiration de ce délai de sept jours. Le cas échéant, il est à nouveau saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration de chaque nouveau délai de sept jours et statue dans les mêmes conditions. Le médecin réitère l’information susmentionnée lors de chaque saisine du juge des libertés et de la détention ».

Enfin et de manière générale, le JLD peut être saisi dans le cadre des dispositions de l’article L. 3211-12 I du Code de la santé publique, désormais ainsi rédigé :

« Le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe l’établissement d’accueil peut être saisi, à tout moment, aux fins d’ordonner, à bref délai, la mainlevée immédiate d’une mesure de soins psychiatriques prononcée en application des chapitres II à IV du présent titre ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale, quelle qu’en soit la forme.

Il peut également être saisi aux fins de mainlevée d’une mesure d’isolement ou de contention prise en application de l’article L. 3222-5-1. Dans ce cas, il statue dans les délais prévus au II de l’article L. 3222-5-1 ou, à défaut, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine ».

Le JLD est ainsi soumis à un délai contraint pour statuer : un délai de vingt-quatre heures courant à compter de l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement ou de la quarante-huitième heure de contention s’il est saisi dans le cadre systématique de l’article L. 3222-5-1, ou à compter de sa saisine dans les autres cas.

 

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[1] Le médecin doit par ailleurs informer un membre de la famille du patient.