Urbanisme, aménagement et foncier
le 19/05/2022

Loi littoral – précisions sur la notion de « secteurs déjà urbanisés » de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme issu de la loi Elan

CE, 22 avril 2022, n° 450229

Par une récente décision du 22 avril 2022 (req. n° 450229), mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat s’est pour la première fois prononcé sur la notion de secteurs déjà urbanisés de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, introduite par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN).

  1. Pour rappel, dans sa précédente version, l’article L 121-8 du Code de l’urbanisme prévoyait uniquement que « l’extension de l’urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».

Au visa de ces dispositions, il est classiquement jugé que :

« […] les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages ». (CAA Nantes, 28 septembre 2021, 20NT00951 ; CE, 9 novembre 2015, Commune de Porto Vecchio, req. n° 372531 Porto Vecchio ; – 28 décembre 2016, req. n° 392878; -, 21 avril 2017, req. n° 403765).

L’article 42 de la loi ELAN a profondément modifié les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

  • tout d’abord en supprimant la possibilité d’étendre l’urbanisation sous forme de hameau nouveau intégré à l’environnement ;
  • mais encore en ajoutant la possibilité de délivrer des autorisations d’urbanisme dans des « secteurs déjà urbanisés» , hors bande littorale de cent mètres et espaces proches du rivage, et ce, selon deux modalités.

L’article 42 § I de la loi ELAN a en effet ajouté un deuxième alinéa à l’article L.121-8 rédigé comme
suit :

« Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. es secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs ».

Il s’agit du régime général : peuvent être autorisées les constructions et installations à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics dans les secteurs urbanisés identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme.

En outre, l’article 42 § III de la loi ELAN prévoit un régime transitoire applicable jusqu’au 31 décembre 2021 selon lequel, sans condition de finalité cette fois, peuvent être autorisées les constructions et installations, dans des secteurs déjà urbanisés mais qui n’ont pas encore été identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme.

La décision commentée s’inscrit dans le cadre de ce régime transitoire.

  1. Saisi d’un pourvoi à l’encontre du jugement du Tribunal administratif de Pau ayant annulé un permis d’aménager un lotissement de onze lots sur le fondement des dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a jugé que :

« […] en se bornant à considérer que le terrain d’assiette du projet s’inscrit dans un  » compartiment  » ne présentant pas une densité significative de constructions pour juger qu’il n’est pas situé dans un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, sans faire application des critères retenus par ces dispositions pour distinguer les secteurs déjà urbanisés des espaces d’urbanisation diffuse, le tribunal administratif a entaché son jugement d’une erreur de droit ».

Cette motivation, quelque peu sibylline, implique d’analyser la décision à la lumière des conclusions du Rapporteur public pour en déterminer précisément la portée.

Monsieur Laurent Domingo souligne que c’est au prix d’une erreur de droit que « le tribunal a raisonné pour les secteurs déjà urbanisés comme pour les agglomérations et villages, en recherchant la densité significative de constructions ».

Il ajoute que :

« La nouvelle règle de construction issue de la loi ELAN a pour objet d’autoriser des projets qui ne se situent pas en continuité des agglomérations et villages, c’est- à-dire de zones avec une densité significative de constructions, mais qui se situent dans des secteurs qui sont néanmoins déjà urbanisés et suffisamment urbanisés.

Les « secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages » de la loi ELAN, c’est donc autre chose que les zones ou espaces urbanisés [identifiés] pour l’application de la règle de l’extension en continuité des agglomérations et villages, ou même pour l’application de celles de l’extension limitée dans les espaces proches du rivage ou de l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres ».

Ainsi, selon le Conseil d’Etat, il existe deux types de « secteurs déjà urbanisés » dans les communes littorales :

  • les SDU caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions (agglomérations et villages) qui peuvent être étendus et densifiés ;
  • les SDU qui ne sont pas caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais qui répondent aux critères du deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme et qui peuvent uniquement être densifiés.

Comme le précise le Rapporteur public, les SDU issus de la loi ELAN correspondent donc à « un niveau intermédiaire d’urbanisation, entre ce qui est significativement urbanisé et ce qui est une urbanisation diffuse ».

  1. En outre, en précisant « au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 121-8 » que « constituent des agglomérations ou des villages où l’extension de l’urbanisation est possible » , « les secteurs déjà urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions », la décision commentée confirme la jurisprudence de la Commune de Porto Vecchio (précitée supra). On notera toutefois qu’il est désormais fait référence à la notion de « secteurs » déjà urbanisés, et non plus à celle de « zones » déjà urbanisées. Cette évolution peut prêter à confusion puisque selon que ces espaces relèvent du premier ou du deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, leurs possibilité d’urbanisation sont nettement distinctes 
  1. L’apport essentiel de la décision tient davantage aux précisions apportées quant à l’appréciation de la notion de continuité au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

« Il ressort des énonciations du jugement attaqué que pour juger que le terrain d’assiette du projet en litige n’était pas situé en continuité avec une agglomération ou un village existant, le tribunal administratif ne s’est pas borné à prendre en compte les constructions situées sur les seules parcelles limitrophes de ce terrain mais a apprécié le respect du principe de continuité, posé par l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, en resituant, sans dénaturer les pièces du dossier, le terrain d’assiette du projet dans l’ensemble de son environnement ».

Pour s’assurer du respect de principe de continuité, la Haute juridiction invite à prendre en considération l’ensemble de l’environnement du terrain d’assiette du projet et non les seuls terrains contigus.

Cette analyse rejoint celle, fréquemment invoquée, du rapporteur public Édouard Crepey, lequel expliquait au Conseil d’Etat à propos de la mise en œuvre de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

« Votre jurisprudence ayant à juste titre posé un critère d’éloignement et non de coupure […] dès lors que l’on se situe à distance de la zone dense, cette distance fût-elle comblée par de l’urbanisation diffuse, le critère de la continuité par rapport à une construction existante ne suffit pas à autoriser le projet, sans quoi il serait indéfiniment possible, si vous nous passez cette expression, d’accrocher des wagons aux wagons précédents » (Édouard Crépey, conclusions sur CE, 19 juin 2013, Commune de la Teste-de-Buch, req. n° 342061).

 

Camille Treheux, avocate associée de SEBAN ARMORIQUE