Santé, action sanitaire et sociale
le 24/01/2023

Loi Kouchner : quel bilan après 20 ans ?

Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

En rééquilibrant les relations patients-médecins, la loi sur les droits des malades et la qualité du système de soin, n° 2002-303 en date du 4 mars 2002, dite « Loi Kouchner », a permis de mieux prendre en considération les droits des malades en les replaçant au centre des soins.

Pendant très longtemps, les patients n’avaient guère droit au chapitre lorsqu’ils se trouvaient hospitalisés. Le médecin, maître de son art, était seul à estimer ce qui était bon pour son patient et les soins qu’il convenait de lui prodiguer.

Le droit des patients n’a cessé d’évoluer au fil du 20ème siècle. C’est la jurisprudence qui opéra une première reconnaissance d’un droit pour les patients au travers de l’arrêt rendu le 26 janvier 1942 par la Cour de cassation, dans une affaire Teyssier (DC 1942. 63 ; Gaz. Pal. 1942. 1. 177), qui pose la base du devoir d’information et de recueil du consentement du patient. Le droit au consentement pour les soins courants ne sera instauré que par la loi n° 1988-1138 du 28 décembre 1988 relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.

Après la Seconde guerre mondiale, les hôpitaux se transforment en lieux de soins pour tous mais il faudra attendre le décret n° 74-27 du 14 janvier 1974, relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux, pour que soit instituée et rendue obligatoire la Charte des personnes hospitalisées qui permet une première reconnaissance des droits et devoirs des malades.

L’apparition du SIDA, aux détours des années 80, va constituer une étape importante dans la revendication des patients à se voir reconnaître davantage de droits. Face à des médecins démunis, à une absence de traitement et une mortalité frisant les 100 %, les patients exigent légitimement de pouvoir être associés et participer aux décisions de soins qui les concernent.

L’affaire du sang contaminé, impliquant le Centre national de transfusion sanguine et l’ensemble du système hospitalier, viendra confirmer de plus fort la nécessité pour les patients de disposer de droits propres, indépendamment du système de santé.

Par la suite, le Conseil constitutionnel viendra consacrer comme principe à valeur constitutionnelle le droit à l’information des patients, par une décision n° 94-344 du 7 juillet 1994. Et, en 1996, les associations de patients accèderont au statut de partenaire institutionnel de l’action sanitaire, inscrit comme tel dans le Code de santé publique.

Les Etats généraux de la santé, organisés par le ministère de la santé de septembre 1998 à juin 1999, dans 80 villes de France, révèlent la totale méconnaissance des usagers du système de santé de ce que sont leurs droits à exprimer leurs volontés et à être entendus, pour toutes les décisions de soins les concernant.

C’est de ces Etats généraux qu’est née la loi n° 2002-303 en date du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi « Kouchner ». Elle va définir ce qu’il conviendra désormais de désigner comme la démocratie sanitaire, c’est-à-dire la reconnaissance du droit dont dispose chacun de connaître, décider et agir pour sa santé. La loi Kouchner va ainsi fixer des droits individuels pour les patients ainsi que des droits collectifs qui deviendront des devoirs et obligations pour les établissements de santé publics et privés.

Au titre des droits individuels, figurent le droit de choisir librement son patient, le droit à l’information du malade qui se traduit par un droit d’accès à son dossier médical mais également par un droit à être dûment informé sur les traitements qui lui sont proposés, leurs risques et leurs frais. Les établissements doivent recevoir expressément le consentement du patient aux soins, y compris pour les personnes ne pouvant exprimer leur volonté comme les mineurs. Les hôpitaux doivent encore mettre en œuvre une égalité d’accès aux soins en veillant à n’être en rien discriminants, ils doivent informer leurs patients qu’ils disposent du droit de choisir et désigner une personne de confiance, qui sera l’interlocutrice du système de santé pour le temps où le patient ne peut plus exercer son discernement. Ils doivent aussi informer les patients sur leur droit à accéder à des soins palliatifs lorsque leur état de santé le justifie.

La loi Kouchner a, également, formalisé quelques droits collectifs pour les patients et usagers du système de santé. Désormais, les représentants des usagers interviennent dans les instances de santé au niveau national, local et territorial. Les associations de patients disposent de sièges dans les organes de gouvernance des hôpitaux.

Enfin, et ce n’est pas mince, la loi nouvelle a défini la notion, jusque-là imprécise, de responsabilité médicale pour faute et créé un droit à réparation de l’aléa thérapeutique afin d’indemniser les patients pour toutes les infections dites nosocomiales, c’est-à-dire contractées à l’hôpital.

Quelques dispositions législatives viendront compléter l’arsenal déjà bien étoffé de la loi Kouchner. Ainsi, la loi n° 2004-806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, va-t-elle créer une Conférence nationale de santé, à laquelle seront associés les usagers pour la fixation des grandes orientations des politiques de santé.

La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, a renforcé le droit de refus du patient d’être soigné et organisé la situation des personnes en fin de vie ainsi que des personnes n’étant plus en état de faire connaître leurs volontés. C’est ce texte qui a, pour la première fois, instauré les directives anticipées.

La loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, est venue réformer la gouvernance des hôpitaux en incluant la représentation des usagers. Elle a également créé les Agences régionales de santé, dans les instances desquelles viennent également siéger les usagers. Elle a, aussi, garanti un égal accès des patients à des soins sûrs et de qualité, notamment en facilitant le parcours de soins, par la création de passerelles de prise en charge entre la ville et l’hôpital.

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé, va renforcer considérablement le rôle des représentants des usagers, notamment au sein des Commissions des usagers, dont les compétences vont être étendues.

Au terme de ce long parcours législatif, les droits des patients ont donc été reconnus puis mis en œuvre afin de faire de chaque citoyen un véritable acteur de sa santé. A ce stade, on peut donc considérer que les relations entre les patients et les médecins ont fondamentalement changé de nature, devenant, au fil du temps et des réformes, plus horizontales. Ce bilan globalement positif doit cependant être tempéré. D’abord, la crise sanitaire de la Covid-19 a montré quelques limites à la démocratie en santé. Ainsi, la Conférence nationale de santé, en sa séance de juin 2021, a regretté que les droits des patients aient été mis entre parenthèse devant l’urgence à régler la crise. Le secret médical n’a pas toujours été scrupuleusement respecté, la déprogrammation intensive d’opérations chirurgicales ne s’est pas toujours faite avec le consentement éclairé des patients. Les retards dans les diagnostics ont entrainé d’importantes pertes de chances pour de nombreux patients. Et ce ne sont là que quelques-uns des griefs relevés par la Conférence.

Enfin, la Conférence de santé, en partenariat avec les associations d’usagers, a noté que d’importants progrès restent à accomplir pour ce qui concerne les représentants des usagers : souvent peu nombreux, souvent peu reconnus ou souvent tenus à l’écart de décisions importantes. Elle propose et préconise notamment la création d’un parlement sanitaire et social dans les régions réunissant tous les acteurs de santé et où la voix des usagers pourrait porter davantage.

Ainsi, la loi Kouchner a fait faire aux droits des patients, et donc aux devoirs des établissements de santé, un important bond en avant. Les patients sont désormais acteurs, tant individuellement pour leur propre santé que collectivement en qualité d’usagers, du fonctionnement de notre système de santé. On peut au moins regretter que les différents dispositifs législatifs n’aient pas créé une obligation d’évaluation qui permettrait d’avoir un suivi précis de la manière dont s’exercent les droits des patients et, notamment, du contentieux né ou à naître de la mise en œuvre de ces droits.

 

Jean-Carles GRELIER – Avocat consultant