Logement social
le 28/03/2019

Loi ELAN et obligations de regroupement des bailleurs sociaux

Les bailleurs sociaux ont été fortement impactés par le dispositif de la réduction de loyer de solidarité (RLS), issu de la loi de finances pour 2018, qui ampute en moyenne les recettes des bailleurs sociaux de 10 % et leur impose de retrouver de nouvelles possibilités financières. S’y ajoute un mouvement de concentration ou de regroupements, initié par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (« ELAN »), dont nous décrirons ci-après les principales obligations (I), pour ensuite présenter la nouvelle société de coordination (II).

I – L’OBLIGATION DE REGROUPEMENT

1.1 Le principe

Un des dispositifs majeurs de la loi ELAN porte sur la restructuration des organismes de logement social consistant à instaurer l’ «obligation, pour un organisme de logement locatif social n’atteignant pas une taille qui lui permette d’assurer l’ensemble des fonctions stratégiques de manière autonome, de rejoindre un groupe » (projet de loi n° 846).

Ainsi, les axes principaux de la réforme sont :

  • la détermination de la taille d’autonomie d’un bailleur isolé à 12.000 logements ;
  • la détermination d’une taille minimale de groupe à 12.000 logements ;
  • la consécration des groupes de bailleurs sociaux et de leurs fonctions prééminentes.

Les organismes de logement social concernés par l’obligation de regroupement sont d’une part, les organismes d’habitations à loyer modéré (organismes d’HLM), à savoir les offices publics de l’habitat (OPH), les entreprises sociales de l’habitat (ESH), les coopératives d’habitations à loyer modéré (coops HLM) et les fondations d’habitations à loyer modéré (article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation) et, d’autre part, les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux (SEM agréées logement social), au sens de l’article L. 481-1 du Code de la construction et de l’habitation.

Les organismes de logement social de moins de 12.000 logements ont jusqu’au 1er janvier 2021 pour atteindre ledit seuil ou se regrouper.

Il convient de préciser que les OPH de moins de 12.000 logements rattachés à une même collectivité sont également soumis à une obligation de fusion. Ainsi, la loi ELAN a prévu un calendrier en deux temps selon les modalités suivantes : si les OPH de moins de 12.000 logements rattachés à une même collectivité décident de fusionner dès le 1er janvier 2021, l’obligation de regroupement est reportée au 1er janvier 2023. Inversement, ces mêmes OPH peuvent reporter leur obligation de fusion au 1er janvier 2023 s’ils sont regroupés dans un groupe d’organismes de logement social dès le 1er janvier 2021.

Faute d’atteindre le seuil de 12.000 logements ou d’appartenir à un groupe de logement social à compter du 1er janvier 2021, l’organisme de logement social pourra être mis en demeure par le ministre en charge du logement de céder tout ou partie de son patrimoine locatif social (ou logements locatifs conventionnés pour les SEM agréées) ou tout ou partie de son capital à un ou plusieurs organismes de logement social nommément désignés, ou de souscrire au moins une part sociale d’une société de coordination.

Par ailleurs, le ministre en charge du logement pourra également, après avis de la commission de péréquation de la Caisse de Garantie du Logement Locatif Social, mettre en demeure soit un organisme de logement social d’acquérir tout ou partie des logements (ou logements locatifs conventionnés pour les SEM agréées) ou tout ou partie du capital d’un organisme qui ne respecte pas l’obligation soit une société de coordination et ses actionnaires de permettre à cet organisme de souscrire au moins une part sociale de la société de coordination.

1.2 Les exceptions

L’obligation de détenir au moins 12.000 logements ne s’applique pas aux :

  • organismes de logement social dont l’activité principale au cours des 3 dernières années est une activité d’accession sociale à la propriété et qui n’ont pas construit ou acquis plus de 600 logements locatifs sociaux au cours des 6 dernières années ;
  • organismes de logement social ayant leur siège dans un département dans lequel aucun groupe, ni aucun autre organisme d’HLM ou SEM agréée n’appartenant pas à un groupe, n’a son siège ;
  • SEM agréées dont le chiffre d’affaires moyen sur 3 ans de l’ensemble de ses activités, y compris celles ne relevant pas de son agrément est supérieur à 40 millions d’euros ;
  • organismes de logement social dont le siège social est situé en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et en Corse.

1.3 Le cas des petits organismes

Les organismes d’HLM et désormais les SEM agréées risquent la dissolution pour les premiers et le retrait d’agrément pour les secondes s’ils détiennent moins de 1.500 logements, n’ont pas construit au moins 500 logements pendant une période de dix ans et ne contribuent pas suffisamment aux missions et objectifs d’intérêt général mentionnés aux articles L. 411 et L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation, sauf si ils appartiennent à un groupe d’organismes de logement social.

II – LE GROUPE D’ORGANISMES DE LOGEMENT SOCIAL

Un groupe d’organismes de logement social au sens de l’article L. 423-1-1 du Code de la construction et de l’habitation est un groupe qui gère au moins 12.000 logements ou un groupe qui constitue l’unique groupe ayant son siège dans un département.

Enfin, pour les SEM agréées, la loi ELAN a introduit une définition supplémentaire : un groupe d’organisme peut également être un groupe de moins de 12.000 logements et, quand il compte au moins deux SEM agréées, qui réalise un chiffre d’affaires consolidé moyen sur trois ans au moins supérieur à 40 millions d’euros pour l’ensemble des activités des sociétés qui le composent ou dans lesquelles le groupe ou les sociétés qui le composent détiennent des participations majoritaires, y compris les activités des SEM non agréées.

Deux modalités de regroupement sont proposées par la loi ELAN : le groupe capitalistique et celui formé autour d’une société de coordination, lesquels sont dotés de compétences communes.

Un groupe capitalistique doit comporter majoritairement des organismes de logement social, étant précisé que l’un d’entre eux ou une autre société contrôle directement ou indirectement les autres, au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce. Le contrôle conjoint est également pris en compte dans cette définition.

Des groupes HLM de ce type existent déjà. La loi ELAN leur impose dorénavant des obligations spécifiques, telles que l’élaboration d’un cadre stratégique de patrimoine commun et d’un cadre stratégique d’utilité sociale de groupe en cohérence avec ceux de ses membres.

III – LA SOCIETE DE COORDINATION

La société anonyme de coordination d’habitations à loyer modéré avait été créée par la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 et codifiée aux articles L. 423-1-1 et R. 423-86 du Code de la construction et de l’habitation.

Cet outil devait permettre aux organismes d’habitations à loyer modéré de se regrouper sous une structure commune aux fins de coordonner leurs actions sur un territoire donné et d’optimiser la gestion de leur patrimoine « en vue de favoriser leur coopération dans un ou des périmètres donnés ».

Toutefois, cette forme sociale n’a connu qu’un succès limité, n’ayant été employée qu’à quelques reprises. Fort de cet échec, le législateur de la loi ELAN a « recyclé » cette société et l’a dotée d’un nouveau régime juridique. Les dispositions applicables aux sociétés de coordination de « première génération » demeurent applicables à ces dernières (art. 81 de la loi ELAN).

Pour répondre à l’obligation issue de la loi ELAN d’avoir à atteindre, au 1er janvier 2021, le seuil de 12.000 logements, les organismes peuvent désormais décider de constituer entre eux une société de coordination.

Les clauses-types permettant d’arrêter les statuts de la société de coordination devraient paraître au deuxième trimestre 2019, étant rappelé en outre que l’obligation de regroupement entre en vigueur le 1er janvier 2021.

2.1 La gouvernance d’une société de coordination

Le Code de la construction et de l’habitation fixe de manière limitative les personnes morales pouvant être associées ou actionnaires d’une société de coordination (art. L. 423-1-2 du CCH). Il s’agit des organismes d’habitations à loyer modéré définis à l’article L. 411-2 du Code la construction et de l’habitation (offices publics de l’habitat, sociétés anonymes d’habitations à loyer modéré, sociétés coopératives d’habitations à loyer modéré), des organismes agréés en matière de maitrise d’ouvrage d’insertion définis à l’article L. 365.2 du Code la construction et de l’habitation, des sociétés d’économie mixte agrées pour construire et gérer des logements locatifs sociaux visées à l’article L. 481-1 du Code la construction et de l’habitation et enfin, dans une limite de 50% du capital social de ladite société, des sociétés d’économie mixte, des sociétés publiques locales (SPL) et des sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP).

La société de coordination peut prendre la forme d’une société anonyme, dans laquelle les voix en assemblée générale des actionnaires restent proportionnelles à la détention du capital social de la société (« une action vaut une voix »), ou d’une société anonyme coopérative, dans laquelle les voix sont comptabilisées par tête de chaque associé sans corrélation avec la fraction du capital apporté (« un actionnaire vaut une voix »).

Les associés ou actionnaires pourront également prévoir de rédiger, en sus des statuts, un pacte d’actionnaires.

Comme toute société d’habitations à loyer modéré, la société de coordination devra être agréée par l’Etat après avis du Conseil National de l’Habitat, en application de l’article L. 422-5 du Code la construction et de l’habitation.

Quel que soit le choix de la forme juridique de la société de coordination, la gouvernance de cette-dernière peut se structurer autour soit d’un conseil d’administration et d’un directeur général, soit d’un directoire et d’un conseil de surveillance.

La loi ELAN déroge au Code de commerce en ce qu’elle permet au sein des sociétés de coordination un conseil d’administration ou le conseil de surveillance comprenant jusqu’à 22 membres et en ce que lesdits organes comprendre non seulement des représentants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des collectivités territoriales sur le territoire desquels les associés ou actionnaires de la société de coordination possèdent des logements (dans la limite de 3 représentants, avec voix délibérative ou consultative), mais également des représentants élus des locataires (avec vois délibérative).

S’agissant de l’assemblée générale, ses compétences et pouvoirs sont soumis aux dispositions du droit commun des sociétés, à l’exception de la règle introduite dans la loi ELAN permettant aux EPCI et collectivités territoriales d’être représentés à ladite assemblée générale, sans pour autant qu’elles disposent d’une voix délibérative.

Enfin, un représentant de la société de coordination pourra siéger, sans voix délibérative, dans les conseils d’administration ou de surveillance des organismes actionnaires de ladite société.

2.2 Le rôle et les prérogatives de la société de coordination dans le groupe d’organismes de logement social

La société de coordination sera chargée d’un projet collectif de groupe HLM et exercera en premier lieu un rôle de pilotage stratégique du groupe. 

Ainsi, elle sera chargée de l’élaboration pour l’ensemble des associés membres du cadre stratégique patrimonial (les orientations générales et les grands objectifs chiffrés en s’appuyant sur le Plan Stratégique de Patrimoine de chaque membre), du cadre stratégique d’utilité sociale (les engagements sur la qualité du service rendu aux locataires, la gestion sociale, la concertation locative, etc…). Elle exercera également un contrôle de gestion des organismes (transmission des documents comptables à la société, combinaison des comptes annuels de chaque associé).

En second lieu, elle exercera un rôle de coordination et de mutualisation : elle sera chargée de construire l’efficacité opérationnelle et économique du groupe et la définition de la politique technique, de la politique d’achat des biens et services et d’une unité identitaire. Elle pourra notamment assurer la mise en commun de moyens humains et matériels au profit de ses membres, en les assistant, comme prestataire de services, dans toutes les interventions sur des immeubles qui leur appartiennent ou qu’ils gèrent.

La société de coordination est dotée de prérogatives de maintien de sa soutenabilité financière et de celle d’un ou de plusieurs de ses membres. Dans ce cadre, elle peut appeler ses actionnaires à apporter ou à prêter des fonds propres pour garantir ladite soutenabilité.

Il est à noter que le dispositif mis en place par le législateur a prévu, pour garantir cette soutenabilité financière, de permettre à la société de coordination de s’immiscer directement dans la gestion de ses membres.

Ainsi, si la situation financière d’un organisme membre de la société de coordination le justifie, cette dernière pourra mettre en demeure ledit organisme de lui présenter les mesures qu’il s’engage à prendre en vue de remédier à sa situation dans un délai raisonnable. Mieux encore, la société de coordination pourra décider d’interdire ou de limiter la distribution du résultat ou la réalisation d’un investissement d’un de ses membres.

Enfin, et à défaut de rétablissement de la situation, et nonobstant toutes dispositions ou stipulations contraires, la société de coordination pourra décider de la cession totale ou partielle du patrimoine locatif conventionné de cet organisme ou sa fusion avec un autre organisme du groupe après consultation préalable des organes dirigeants des organismes concernés.

Par Eglantine Enjalbert,
Directrice du pôle Logement social, Seban & Associés