Contrats publics
le 19/05/2022

L’interdiction d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de tout marché public ou contrat de concession avec les personnes de nationalité russe, ou avec les personnes, organismes ou entités détenues par une personne de nationalité russe

Article L. 2 du Code de la commande publique

Depuis le 9 avril 2022[1], les acheteurs publics et autorités concédantes des Etats membres de l’Union européenne ont l’interdiction d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de tout marché public ou contrat de concession avec les personnes de nationalité russe, ou avec les personnes, organismes ou entités détenues par une personne russe.

Cette interdiction concerne les contrats mentionnés à l’article L. 2 du Code de la commande publique, répondant à un besoin dont le montant est égal ou supérieur aux seuils européens, mais également certains contrats portant sur des thématiques sensibles, normalement exclus du champ d’application des directives. C’est notamment le cas des marchés portant sur la revente ou de location d’eau ou d’énergie à des tiers, ou des marchés de services financiers.

Désormais, les acheteurs et autorités concédantes ont l’interdiction d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de ces contrats lorsque :

  • l’attributaire est un ressortissant russe ou une personne physique ou morale, une entité ou un organisme établi sur le territoire russe ;
  • l’attributaire est détenu à plus de 50 %, de manière directe ou indirecte, par une entité établie sur le territoire russe ;
  • l’attributaire est une personne physique ou morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou sur instruction d’une entité établie sur le territoire russe ou d’une entité détenue à plus de 50 % par une entité elle-même établie sur le territoire ;
  • le sous-traitant, le fournisseur ou toute entité aux capacités de laquelle il est recouru pour des prestations représentant plus de 10 % de la valeur du marché, se trouve dans l’un des trois cas susvisés.

Ces hypothèses pouvant se révéler être délicates à identifier dans la pratique, la Direction des Affaires juridiques de Bercy a publié une fiche technique ayant pour objet d’accompagner les acheteurs et autorités concédantes dans la mise en œuvre de cette interdiction.

Dans un premier temps, la fiche technique propose une méthode permettant aux acheteurs et autorités concédantes d’identifier les contrats visés par l’interdiction.

S’agissant de l’identification des contrats concernés, les acheteurs et autorités concédantes peuvent ainsi s’aider des données issues de la procédure de passation (avis d’attribution, données essentielles de la commande publique, données du recensement), ainsi que des codes CPV.

S’agissant de l’identification des opérateurs économiques concernés, la tâche peut se révéler beaucoup plus compliquée.

D’abord, l’acheteur ou l’autorité concédante peut vérifier les données relatives à l’adresse et à l’immatriculation de l’opérateur, qui figurent notamment dans l’acte d’engagement, l’offre, ou encore dans les formulaires DC et DUME. Il est à noter que la Direction des Affaires juridiques les incite à effectuer des vérifications sur le site info-clipper.com.

Ensuite, la fiche technique opère une distinction entre les cas de détention directe de l’attributaire, et les cas de détention indirecte.

En cas de détention directe, les acheteurs et autorités concédantes doivent vérifier la composition du capital, en se référant aux règles de droit des sociétés ou des associations. En présence d’une société anonyme, ils devront se procurer les statuts, puis additionner les parts détenues par d’éventuels ressortissants ou entités russes pour analyser si le seuil de 50 % est atteint.

En cas de détention indirecte, les acheteurs et autorités concédantes devront remonter les liens capitalistiques pour vérifier si l’opérateur est in fine détenu pour moitié par un ressortissant ou une entité russe. La Direction des affaires juridiques propose alors un faisceau d’indices.

Enfin, les acheteurs et autorités concédantes pourront vérifier si les sous-traitants ne se trouvent pas dans une situation faisant l’objet de l’interdiction, dans le cadre du contrôle qu’ils effectuent lors de la procédure d’agrément.

Les acheteurs publics et autorités concédantes devront opérer ces identifications lors des procédures de passation qu’ils engageront, mais également dans le cadre d’une revue de l’ensemble des contrats en cours d’exécution. En effet, ceux-ci sont tenus, d’ici le 10 octobre 2022, de résilier tout contrat entrant dans le champ de l’une des hypothèses concernées par l’interdiction.

Cette résiliation unilatérale ne donne droit à aucune indemnisation, compensation, prorogation de paiement ou garantie au bénéfice de l’opérateur.

Dans un second temps, la fiche technique s’attache à rappeler la liste des exceptions à l’interdiction.

Ces exceptions sont, pour la plupart, sectorielles. Il s’agit notamment des déchets radioactifs, programmes spatiaux, achat importation ou transport de gaz naturel et de pétrole.

Seule une exception est générale à tous les domaines d’activité, mais ne peut être mise en œuvre qu’à deux conditions cumulatives. Le contrat doit porter sur la fourniture de biens ou de services qui, d’une part, doivent pouvoir être qualifiés de « strictement nécessaires » et qui, d’autre part, ne peuvent être fournis en quantité suffisante que par les personnes visées par l’interdiction.

Le caractère strictement nécessaire doit être analysé au cas par cas, et doit prendre en compte l’impact d’une rupture d’approvisionnement ou d’une cessation de fourniture de ces services et la capacité à trouver des produits ou services substituables ou équivalents.

La Direction des affaires juridiques indique toutefois que l’attribution d’un contrat à une personne visée par l’interdiction doit être autorisée par la Direction générale du Trésor, sous peine de sanctions.

L’acheteur ou l’autorité concédante qui contreviendra à l’interdiction d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de tout marché public ou contrat de concession avec les personnes de nationalité russe, ou avec les personnes, organismes ou entités détenues par une personne russe, s’exposera à des sanctions pénales pouvant aller, notamment, jusqu’au prononcé d’une peine d’emprisonnement de cinq ans, à la confiscation du corps du délit, à la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction, et à une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction.

Les sanctions prévues par le texte sont donc particulièrement lourdes, en dépit de la réelle difficulté que constitue l’identification par les acheteurs et autorités concédantes des contrats concernés et, surtout, des opérateurs russes visés par le texte…

 

[1] Règlement (UE) 2022/576 du Conseil du 8 avril 2022 modifie le règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.