Energie
le 11/01/2024

Limitation de puissances, interruptions en périodes de crises et de tension sur le réseau

CE, 6 décembre 2012, Mme A et B, n° 469094

La fin de l’année 2023 a été riche en textes réglementaires dans le domaine énergétique. Deux d’entre eux concernent les mesures à disposition des acteurs de réseau pour faire face aux menaces sur la sécurité en approvisionnement. L’occasion de faire un tour d’horizon des actualités relatives aux limitations de puissances et aux interruptions en périodes de crises et de tension sur les réseaux.

Sur le décret n° 2023-1368 du 29 décembre 2023 portant expérimentation d’une mesure de limitation de puissance des clients résidentiels raccordés au réseau public de distribution d’électricité et la délibération de la CRE n°2023-367 du 20 décembre 2023 portant avis sur le décret précité

En cas de menace imminente sur la sécurité d’approvisionnement en électricité, les gestionnaires de réseaux mettent en œuvre des plans de sauvegarde nécessaires pour préserver la sécurité du réseau. Ces plans prévoient une série de mesures pouvant notamment se traduire, dans les cas les plus extrêmes, par des mesures de délestages tournants pouvant conduire à la coupure totale de l’alimentation électrique pour l’ensemble des consommateurs d’un périmètre donné.

Le décret n°2023-1368 du 29 décembre 2023 vise à expérimenter une nouvelle mesure consistant en une limitation de puissance temporaire des consommateurs. L’objectif de cette expérimentation est, ainsi que le relève la Commission de régulation de l’énergie (ci-après, CRE), de « recueillir des enseignements sur le bénéfice effectif de la mesure, avant son éventuelle intégration dans les plans de sauvegarde des gestionnaires de réseaux ».

Ainsi, le décret permet au gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, RTE, et au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, Enedis, de mettre en œuvre ce mécanisme de « limitation temporaire de la puissance soutirée par des clients résidentiels raccordés au réseau public de distribution d’électricité, de puissance inférieure ou égale à 36 kVA » (articler 1er du décret). La puissance peut ainsi être limitée jusqu’à la limite de 3 kVA pendant une durée maximale de deux heures. L’expérimentation doit avoir lieu un jour ouvré entre 6 h 30 et 13 h 30 et entre 17 h 30 et 20 h 30. Il convient de souligner que l’expérimentation ne pourra pas concerner les consommateurs identifiés comme patients à haut risque vital. En outre, les consommateurs présents dans la zone de l’expérimentation pourront refuser d’y participer en suivant la procédure prévue par le dernier alinéa de l’article 3 du décret.

Aux termes de l’article 5 du décret, « la mise en œuvre de l’expérimentation donne droit au versement d’une prime d’un montant de 10 euros, pour les clients concernés dont le point de livraison a fait l’objet d’une limitation effective de puissance et auquel est associé un contrat de fourniture d’électricité au titre de leur résidence principale ». Il convient de souligner que le territoire d’expérimentation a été fixé par arrêté du 29 décembre 2023 du Ministre de l’énergie délimitant le périmètre géographique de l’expérimentation d’une mesure de limitation de puissance des clients résidentiels raccordés au réseau public de distribution d’électricité. Aux termes de l’article 1er de l’arrêté, le périmètre géographique objet de l’expérimentation est le département du Puy-de-Dôme.

Les Puydômois devraient ainsi recevoir dans le courant de l’année 2024 un courrier des gestionnaires de réseau les informations de l’expérimentation et leur donnant la possibilité de refuser de participer à l’expérimentation. Gageons que cette faculté de refus puisse éviter d’« engendrer des incompréhensions sinon des rejets de la part du public, soit du fait de problématiques techniques non maîtrisées, soit du fait de la perception d’une prise de contrôle excessive sur les usages privés » ainsi que le craint la CRE.

Sur le décret n° 2023-1418 du 29 décembre 2023 relatif aux mesures de restriction et de suspension de l’activité des installations de production d’électricité utilisant du gaz naturel en cas de menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel Aux termes de l’article L. 143-6-1 du Code de l’énergie, le Ministre de l’Energie peut :

« 1° En cas de menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel au niveau local, national ou européen, ordonner à des exploitants d’installations de production d’électricité utilisant du gaz naturel de restreindre ou de suspendre l’activité de leurs installations ;

2° Si, à la menace grave mentionnée au 1°, s’ajoute une menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité de tout ou partie du territoire national, réquisitionner les services chargés de l’exploitation de certaines de ces installations afin qu’elles fonctionnent uniquement selon les directives et sous le contrôle de l’opérateur qu’il désigne ».

Le décret n°2023-1418 du 29 décembre 2023 vient encadrer l’exercice de cette compétence en codifiant une nouvelle section au chapitre relatif aux mesures de sauvegarde en cas de crise à disposition de l’État : la section 2 relative aux restriction ou suspension de l’activité des installations de production d’électricité utilisant du gaz naturel en cas de menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel.

En premier lieu, l’article R. 143-4 du Code de l’énergie limite la faculté ainsi offerte au Ministre aux seules installations d’une puissance supérieure à vingt mégawatts, situées sur le territoire métropolitain continental.

En deuxième lieu, seules seront concernées par les restrictions et suspensions ou réquisitions les installations mentionnées sur une liste fixée par le Ministre en charge de l’énergie. Cette liste sera établie sur la base des informations communiquées par le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité. Elle devra préciser :

  • la liste des installations de production susceptibles d’être soumises à restriction ou suspension de leur fonctionnement ;
  • la liste des installations exemptées (selon les conditions prévues par l’article L. 143-6-1 du Code de l’énergie).

En troisième lieu, la détermination des installations qui seront soumises à restriction ou suspension de leur fonctionnement est faite sur la base de critères précisés par l’article R. 143-7. La liste des installations devra tenir compte :

« 1° De la gravité de la menace pesant sur la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel ;

2° Du type d’installation de production, les restrictions ou suspensions s’appliquant en priorité, compte tenu des contraintes liées à la sécurité d’approvisionnement, aux installations qui ne produisent pas en cogénération de l’électricité et de la chaleur valorisée ;

3° Des contraintes techniques propres aux installations de production d’électricité qui seraient incompatibles avec une réduction de leur consommation de gaz naturel ;

4° Des requis minimaux de puissance électrique des installations en deçà desquels la sécurité d’approvisionnement en électricité, la sûreté et la sécurité de l’exploitation du réseau électrique sont susceptibles d’être remis en cause, transmis par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité ».

En quatrième et dernier lieu, les exploitants des installations dont l’activité est restreinte ou suspendue peuvent prétendre à une indemnité. Cette dernière ne pourra couvrir les éventuels bénéfices réalisés par les exploitants mais seulement la perte matérielle, directe et certaine induite par une telle modification d’activité (article R. 143-9 du Code de l’énergie).

Sur l’arrêt du Conseil d’Etat (CE, 6 décembre 2012, Mme A et B, n°469094)

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours en annulation contre un arrêté de la Ministre de la transition énergétique relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics de distribution d’électricité. Par un arrêté du 22 septembre 2022 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics de distribution d’électricité, la Ministre de la transition énergétique a permis aux gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité de suspendre temporairement le dispositif de contact pilotable. Ce dispositif permet aux appareils électroniques d’être déclenchés automatiquement en heures creuses pour les clients qui bénéficient de contrat le leur permettant.

La suspension du dispositif de contact pilotable n’a été autorisée qu’entre le 1er octobre 2022 et le 15 mai 2023, sur une plage horaire quotidienne de deux heures, entre 11 heures et 15 heures 30. L’arrêté contesté encadre de ce fait strictement la suspension de ce dispositif, ce qui a conduit le Conseil d’Etat à écarter le moyen de la requérante relatif à l’atteinte au principe d’égalité en considérant que l’arrêté attaqué ne méconnaissait pas ledit principe. Le Conseil d’Etat a en effet jugé :

« Dans ces conditions, en prévoyant une désactivation quotidienne du déclenchement automatique de ces appareils de deux heures maximum, prenant fin le 15 mai 2023 au plus tard, ces dispositions créent une différence de traitement en rapport direct avec l’objet de l’arrêté, qui est de limiter les pics de consommation durant les heures méridiennes. En outre, cette différence de traitement ne saurait être regardée comme manifestement disproportionnée au regard des motifs, parmi lesquels la prévention des risques de délestage sur le réseau électrique, qui sont susceptibles de la justifier ».

Les moyens du requérant relatif à une atteinte au droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale et à la liberté de l’industrie et du commerce ont également été écartés.

Enfin, le Conseil d’Etat a jugé la mesure prise comme non disproportionnée. Il opère, conformément à sa jurisprudence, une balance entre l’atteinte au principe de proportionnalité et les intérêts des requérants. Il conclut son arrêt en indiquant que la mise en œuvre du dispositif « a permis de réaliser des économies d’énergie de l’ordre de 2,5 gigawatts en appel de puissance sur la période méridienne, sans pour autant priver ces souscripteurs de la tarification favorable dont ils bénéficient sur les heures creuses ni non plus, ainsi qu’il a été dit, de la faculté de déclencher manuellement les appareils pilotés par leur compteur. Dans ces conditions, en édictant l’arrêté attaqué, la ministre de la transition énergétique n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation ni, en tout état de cause, entaché sa décision d’un défaut de proportionnalité ».

La requête est a ainsi été rejetée.