Mobilité et transports
le 15/05/2025

Libéralisation des services de transport ferroviaire de voyageurs : pas d’engagement d’une procédure d’infraction contre la France par la Commission européenne

Rail market access barriers in France – a flawed liberalisation that stifles competition and limits choice

La Directive (UE) 2016/2370 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 modifiant la directive 2012/34/UE en ce qui concerne l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer et la gouvernance de l’infrastructure ferroviaire a été adoptée en vue d’assurer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs dans l’ensemble des états membres de l’Union européenne.

La France a procédé à la transposition de cette directive notamment par la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire laquelle avait pour principal objet de consacrer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire en vue de contribuer « à la recherche d’une meilleure efficacité du système ferroviaire dans son ensemble, en diversifiant l’offre et en introduisant de nouveaux acteurs »[1].

Les modalités de cette ouverture à la concurrence ont été au cœur des débats puisque cette dernière ne peut réussir que si certaines conditions sont réunies. En effet, il est absolument indispensable de s’assurer que l’opérateur historique ne bénéficie pas d’un avantage concurrentiel et surtout que les barrières à l’entrée ne demeurent pas trop importantes. À défaut, l’arrivée de nouveaux opérateurs s’en trouverait compromise et la libéralisation bien qu’autorisée en droit ne serait pas effective de fait.

 

I. Les critiques à l’encontre des barrières à l’entrée dans le marché français des services de transport ferroviaire de voyageurs

Lors d’une table ronde sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire qui s’est déroulée le 29 janvier 2025 devant la Commission de l’aménagement du territoire et du développement[2], plusieurs concurrents avaient considéré qu’il existait des barrières à l’entrée sur le territoire national. Les représentants de Trenitalia, Transdev et Renfe avaient effectivement évoqué de nombreuses difficultés pour pénétrer le marché français dont notamment la lourdeur administrative, les difficultés pour obtenir des homologations du matériel roulant ou obtenir des certificats de sécurité.

En parallèle, plusieurs députés européens espagnols se sont inquiétés d’une absence de levée de telles barrières à l’entrée sur le marché français du transport ferroviaire et plus particulièrement de ce qu’ils estimaient être des coûts trop importants à l’entrée sur ledit marché ainsi qu’un manque de transparence de l’opérateur français historique, la SNCF. L’importance de ces obstacles se traduisant concrètement par des difficultés pour la « Renfe », la société nationale d’exploitation des chemins de fer espagnols, à pénétrer le marché français.

Un premier député européen espagnol, M. Jordi Cañas Pérez, avait alerté la Commission européenne de ces difficultés. En l’absence de réponse de cette dernière, un collègue parlementaire, M. Borja Giménez Larraz, a interrogé la Commission européenne par une question écrite du 7 janvier 2025[3] pour savoir si elle avait pris l’attache des autorités françaises pour s’assurer que la procédure de libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs.

Ce même député européen souhaitait également que la Commission européenne l’informe des mesures qu’elle avait adoptées pour supprimer les barrières à l’entrée sur le marché français et faciliter son accès aux concurrents de SNCF Voyageurs. Enfin, il entendait savoir si la Commission européenne avait d’ores et déjà initié une procédure d’infraction à l’encontre de la France ou si elle envisageait d’en déposer une à brève échéance.

Pour rappel, lorsque la Commission européenne constate qu’un État membre ne respecte pas ou applique incorrectement les législations ou traités européens, elle peut engager la procédure « générale » d’infraction, également appelée procédure en manquement, prévue aux articles 258, 259 et 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à l’encontre de l’État en cause.

Lors de la phase précontentieuse, la Commission adresse à l’État concerné une lettre de mise en demeure identifiant les violations présumées et fixant un délai de réponse pour l’État. Si la réponse de l’État ne convainc pas la Commission, cette dernière peut alors discrétionnairement décider d’émettre un avis motivé par lequel elle enjoint à l’État de se conformer à ses obligations dans un délai qu’elle fixe. Si, à l’échéance de ce délai, l’État n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin au manquement, la Commission peut alors saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

 

II. L’entrée de nouveaux opérateurs témoigne de la progression dans la libéralisation du marché français en dépit de la persistance de barrières à l’entrée

Par une réponse du 27 mars 2025, le commissaire européen grec, M. Apóstolos Tzitzikóstas, a implicitement informé le député européen espagnol que la Commission européen n’avait pas engagé une telle procédure à l’encontre de l’État français et n’envisageait pas d’en introduire une.

Le commissaire européen a rappelé la législation en vigueur et notamment l’importance pour les États membres de se conformer au règlement d’exécution (UE) 2023/1695 de la Commission du 10 août 2023 relatif à la spécification technique d’interopérabilité concernant les sous-systèmes « contrôle-commande et signalisation » du système ferroviaire dans l’Union européenne.

En effet, une des principales barrières à l’entrée dans le secteur ferroviaire résulte du manque d’interopérabilité des réseaux et des difficultés qui en découlent, tout particulièrement pour les nouveaux opérateurs souhaitant exploiter des services à grande vitesse. Sur le marché français, ces opérateurs doivent concevoir des architectures de sécurité à bord de leurs trains qui soient adaptées au système ferroviaire français et qu’ils en assurent la mise en œuvre dans de bonnes conditions, en vue de l’obtention des autorisations requises pour circuler sur le réseau. Afin de permettre l’émergence d’un système ferroviaire européen pleinement interopérable entre les pays, les institutions européennes ont fixé un objectif de déploiement d’un système européen unifié de gestion du trafic ferroviaire, l’ERTMS, désigné sous le terme de « système de sécurité de classe A ».

À cet égard, comme le commissaire européen l’a souligné, la Commission européenne a rappelé à la France son obligation de partager les spécificités de son « système de sécurité de classe B », en ce compris son interface avec l’ERTMS précité, avec les nouveaux entrants et les fabricants de matériels roulants afin de leur permettre d’adapter leur matériel roulant au système français et de pouvoir y délivrer leurs services.

Enfin et surtout, après avoir reconnu la persistance de « difficultés considérables » pour pénétrer sur le marché français, le commissaire européen a indiqué que la Renfe et Trenitalia, soit les opérateurs nationaux espagnols et italiens, étaient parvenus à étendre leurs services de transports ferroviaires de voyageurs au-delà de leur frontière et à les proposer au sein du territoire français. En outre, il a souligné que de nouveaux opérateurs préparaient leur entrée sur le marché français ferroviaire.

Cette pénétration du marché français de nouveaux entrants est bien le signe qu’en dépit de la persistance de barrières à l’entrée audit marché, celles-ci ne sont pas pour autant insurmontables et de nature à faire obstacle à l’ouverture à la concurrence. Partant la Commission européenne n’entend pas, à date, introduire une procédure en manquement mais va veiller à la poursuite de l’abaissement des barrières à l’entrée et envisagera d’introduire de telles actions si les progrès se révèlent insuffisants.

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[1] M. Jean-Baptiste DJEBBARI, Rapport n° 851 fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire.

[2]https://videos.senat.fr/video.4988374_6798143c51722.ferroviaire-voyageurs–ouverture-a-la-concurrence?timecode=5836000

[3] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-10-2025-000037_EN.html.