CA Montpellier, 14 janvier 2025, n° 23/01331
La vie associative est faite d’élans collectifs, mais aussi de tensions. Quand un membre perturbe le fonctionnement du groupe, la tentation d’écarter le « dissident » se fait parfois pressante. Pourtant, l’exclusion d’un membre n’est pas un geste anodin. Elle touche à la liberté d’association, droit fondamental, et résonne même comme une rupture du contrat qui unit l’adhérent au groupement. Loin d’être un acte laissé à la seule discrétion des membres, elle obéit à des règles, forgées par la loi, les statuts et la jurisprudence.
Le principe est connu : une association est libre de déterminer les conditions de perte de la qualité de membre. Les statuts peuvent prévoir des sanctions, en définir les motifs et organiser la procédure. Mais même en l’absence de telles clauses, le juge reconnaît aux associations la faculté de se séparer d’un adhérent qui manquerait gravement à ses obligations, en application du droit commun des contrats. Encore faut-il que les faits reprochés soient réellement fautifs, et que la procédure respecte les droits de la défense.
La jurisprudence a en effet dégagé deux limites :
- D’un côté, il n’est pas permis de sanctionner l’exercice normal d’un droit ou d’une liberté – la liberté d’expression, par exemple – sauf abus manifeste compromettant la vie associative.
- De l’autre, une sanction disciplinaire ne peut prospérer sans garanties procédurales minimales, en particulier pour le respect du contradictoire : information claire des griefs, délai raisonnable de réponse, invitation à présenter ses observations, précision des sanctions dans les statuts.
Deux décisions récentes en offrent une nouvelle illustration. Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Toulouse en avril 2025, un sociétaire d’association pastorale contestait son exclusion. Le débat, très concret – il s’agissait de l’utilisation de pâturages collectifs – débouchait sur une question plus générale : jusqu’où peut aller l’assemblée générale lorsqu’elle confirme une décision d’exclusion prise par le conseil d’administration ? La Cour admet que l’assemblée n’est pas cantonnée au seul contrôle de la décision initiale. Elle peut se fonder sur des faits survenus après la décision du conseil, dès lors qu’ils étaient connus au moment de sa propre délibération. L’organe souverain de l’association n’est donc pas un simple juge d’appel, mais bien l’instance ultime chargée de statuer sur l’appartenance au collectif.
Dans une autre affaire, la Cour d’appel de Montpellier, en janvier 2025, a validé la possibilité pour une association d’appliquer une sanction non prévue aux statuts : l’exclusion d’un membre d’un atelier associatif, alors même que les statuts ne prévoyaient que l’exclusion temporaire ou définitive de l’association. Pour la Cour, la sanction était admissible car moins grave que celles prévues dans les statuts. Cette logique introduit une souplesse bienvenue qui invite tout de même à la prudence. Lorsqu’une activité constitue l’essentiel de l’engagement du membre, être écarté de celle-ci peut se révéler être une sanction aussi lourde qu’une radiation définitive. La question des règles procédurales à respecter dans cette situation posera également question.
Ces deux affaires illustrent le travail du juge en la matière, qui est moins de s’immiscer dans l’opportunité des décisions que de contrôler la gravité des manquements et la régularité des procédures.
L’exclusion, dans le monde associatif, n’est jamais une simple mesure de police interne. Elle engage le projet collectif dans son ensemble. Sanctionner un abus de liberté d’expression, c’est préserver la possibilité d’un débat serein. Écarter un comportement nuisible, c’est protéger la continuité de l’action commune. Mais sanctionner sans base claire, ou à l’issue d’une procédure approximative, c’est risquer de transformer l’outil disciplinaire en arme d’exclusion arbitraire. Exclure un membre n’est pas seulement un acte juridique ; c’est un acte politique et symbolique aux conséquences parfois personnelles (dans les associations sportives par exemple).