Santé, action sanitaire et sociale
le 24/01/2023

L’Etat condamné à rembourser les frais exposés par un département pour l’hébergement d’urgence de familles vulnérables

CE, 22 décembre 2022, département du Puy-de-Dôme, n° 458724

Le département du Puy-de-Dôme a engagé la responsabilité de l’Etat en vue d’obtenir le remboursement des sommes qu’il a engagées, entre 2012 et 2016 au titre de la prise en charge des frais d’hébergement d’urgence de 102 familles vulnérables. Le Conseil d’Etat, par un arrêt en date du 22 décembre 2022, a rappelé à l’Etat ses obligations en matière d’hébergement d’urgence et l’a condamné à verser au département du Puy-de-Dôme la somme de 1.272.464 euros.

 

En vertu des articles L. 121-7 et L. 345-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), il revient à l’Etat de prendre en charge les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés (notamment économiques ou de logement).

Le département, quant à lui, doit prendre en charge les femmes enceintes et les mères isolées avec enfants de moins de 3 ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile (4° de l’article L. 222-5 du CASF). Par ailleurs, l’article L. 222-2 du CASF prévoit la compétence du département, au titre de l’aide sociale à l’enfance, pour le versement de l’aide à domicile aux parents de l’enfant lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l’exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes.

Par une requête indemnitaire, le département du Puy-de-Dôme a recherché la responsabilité de l’Etat du fait de sa carence fautive dans la mise en œuvre de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence considérant que les frais d’hébergement d’urgence qu’il avait dû assumer entre 2012 et 2016 pour 102 familles vulnérables ne relevaient pas de ses obligations en la matière mais de celles de l’Etat au visa des articles L. 121-7 et L. 345-1 du CASF.

Le Conseil d’Etat est ainsi venu confirmer la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon qui a considéré que la carence avérée et prolongée de l’Etat à prendre en charge des familles relevant de l’hébergement d’urgence était caractérisée dans la mesure où les familles remplissaient les critères légaux pour être accueillies dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale. La Cour a condamné l’Etat à rembourser au département du Puy-de-Dôme la somme de 1.272.464 euros.

Les juges d’appel ont considéré qu’il incombe à l’Etat de prendre en charge les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés, à l’exception des femmes enceintes et des mères isolées avec enfants de moins de trois ans dont la prise en charge incombe au département au titre de l’aide sociale à l’enfance.

Ils ont par ailleurs rappelé que le département avait une compétence supplétive en matière d’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés[1] et que la compétence de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence n’excluait pas « l’intervention supplétive du département par la voie d’aides financières [aide à domicile] destinées à permettre temporairement l’hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l’exigent ». Ainsi, un département ne peut légalement refuser à une famille avec enfants l’octroi ou le maintien d’une aide entrant dans le champ de ses compétences au seul motif qu’il incombe en principe à l’Etat d’assurer leur hébergement. Cependant, cette compétence supplétive n’impose pas aux départements de prendre définitivement à leur charge des dépenses qui incombent à l’Etat. Les départements peuvent donc se tourner vers l’Etat afin de demander le remboursement des sommes exposées par lui, en lieu et place de l’Etat, ce qu’a fait le département du Puy-de-Dôme, à notre connaissance, de manière inédite.

En conclusion, si les départements doivent intervenir afin de permettre l’hébergement de familles sans logement, il revient in fine à l’Etat, qui n’est pas parvenu à créer assez de places d’hébergement dans les divers dispositifs d’hébergement d’urgence des familles avec enfants qu’il gère, de payer cet hébergement. Les finances départementales ne doivent pas compenser définitivement la carence de l’Etat dans l’exercice des missions qui relèvent de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence.

 

[1] A ce sujet voir CE, 30 mars 2016, département de la Seine-Saint-Denis, req n° 382437