Contrats publics
le 21/06/2018

Les promesses de cession des biens du domaine public

Le sujet, bien connu des personnes publiques, renferme une contradiction apparente : un bien du domaine public ne peut pas être cédé puisqu’il est inaliénable, et il ne devrait donc pas être possible, pour une personne publique, de prendre une quelconque promesse en ce sens. Mais c’est naturellement plus compliqué que cela.
Lorsqu’une personne publique souhaite céder un bien mais qu’elle affecte en l’état à l’utilité publique – et dont elle souhaite/doit en l’état maintenir l’affectation – , elle réduit alors considérablement le champ des possibles parce que, bien souvent, les acquéreurs potentiels (promoteurs, investisseurs…) ont besoin de disposer d’un titre de propriété (ou d’être assurés de disposer de ce titre) immédiatement, avant que de quelconques travaux ou études ne soient engagés : ils doivent disposer d’une certitude sur le droit de propriété pour pouvoir engager des frais d’études et autres et/ou pour pouvoir solliciter une dette auprès d’établissements bancaires. Qu’on pense ainsi aux vastes opérations d’aménagement de quartiers ou de réhabilitation d’ensembles immobiliers, dans le cadre desquelles, bien souvent, un ou plusieurs terrains cédés au promoteur ou à l’aménageur renferment un équipement affecté à l’utilité publique, et qui doit encore le rester quelques mois, le temps de trouver une solution alternative. Qu’on pense aussi à une personne publique qui souhaite céder un bien dans lequel un service public est installé, précisément pour financer la construction, ailleurs, d’un nouvel ouvrage plus fonctionnel, et dans lequel elle installera ce service public une fois l’ouvrage réalisé.
Dans toutes ces opérations, puisqu’il n’est pas possible de céder un bien qui relève du domaine public à raison du principe d’inaliénabilité , les parties prenantes souhaitent souvent en pratique se tourner vers un dispositif bien connu du droit privé, la promesse de vente.
Le recours à cet outil à l’égard des dépendances du domaine public – qui pose une série de difficultés juridiques (I) – a été validé pour une part, par l’ordonnance du 19 avril 2017 (II) et, pour le reste, par le Conseil d’État dans une décision du 15 novembre 2017 (III).
I. – Avant que l’ordonnance et la décision précitées ne règlent le sujet, les promesses de cession des dépendances domaniales posaient une série de difficultés juridiques, qui conduisaient les praticiens et les auteurs à une réticence certaine à l’égard de ce dispositif.
Il est acquis, en effet, qu’aux termes de l’article L.3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, il n’est pas possible de céder les dépendances qui relèvent du domaine public, puisque « les biens des personnes publiques […] qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ». Pour pouvoir être cédé, un bien du domaine public doit donc en sortir préalablement, et il faut à cet égard que le bien concerné soit désaffecté de fait puis déclassé .

Par ailleurs, dans la mesure où une promesse de vente vaut en principe vente , il n’est pas non plus possible de consentir des promesses de vente ayant pour objet des dépendances domaniales non encore désaffectées et déclassées. La jurisprudence est constante sur ce point et la doctrine est claire sur le sujet .
Pour contourner cette difficulté, les praticiens ont été tentés de conclure des promesses de vente assorties d’une condition suspensive tenant à la désaffectation et au déclassement préalable du bien : la personne publique s’engage à céder un bien sous la condition qu’il soit désaffecté et déclassé dans un délai déterminé, de sorte que le principe d’inaliénabilité n’est pas froissé puisqu’à la date du transfert de propriété du bien, il ne relève effectivement plus du domaine public.

La Cour administrative d’appel de Lyon avait eu l’occasion de connaître d’un dispositif de cette nature et a pu juger qu’il permettait de respecter le principe d’inaliénabilité du domaine public .
De même, le Tribunal administratif de Paris avait considéré que l’article L. 3111-1 du Code général des personnes publiques « ne fait pas obstacle à la conclusion d’une convention par laquelle une personne publique s’engage à céder à une personne privée une parcelle appartenant à son domaine public, même affectée à l’usage direct du public, sous une condition suspensive relative au déclassement préalable de cette parcelle, dès lors qu’une telle promesse de vente n’emporte pas, par elle-même, cession des droits réels immobiliers sur le domaine public » .
Toutefois, si la condition suspensive permet ainsi de contourner l’obstacle posé par le principe d’inaliénabilité du domaine public, elle pose une difficulté juridique, qui, pour beaucoup d’auteurs, conduisait à affecter la légalité des promesses de vente auxquelles une condition de cette nature pouvait être attachée.
En effet, si la liberté contractuelle permet aux parties de subordonner une vente à la réalisation d’une condition suspensive, cette condition suspensive ne doit cependant pas être potestative, c’est-à-dire que sa réalisation ne doit pas exclusivement dépendre de la volonté de l’une des parties (ancien article 1174 du Code civil, article 1304-2 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats).
Or, beaucoup considéraient que tel pouvait être le cas d’une condition suspensive attachée à la désaffectation et au déclassement du bien par la personne publique, désaffectation et déclassement qui dépendent in fine du « bon vouloir » du promettant .
Par conséquent, comme le soulignait un auteur, « la légalité de la promesse de vente portant sur des dépendances domaniales et qui contiendrait une condition suspensive du déclassement dudit bien afin de permettre la réalisation de la cession envisagée, paraît, au minimum, douteuse » .
Un moyen de neutraliser cette difficulté consistait à considérer que la condition attachée à la désaffectation et au déclassement du bien n’est pas potestative, à tout le moins si la personne publique s’engage réellement à désaffecter et déclasser le bien dans un délai déterminé, et ce seulement à la condition qu’aucun évènement extérieur à sa volonté empêche cette désaffectation.

Mais l’on se heurtait alors à un autre principe, suivant lequel les personnes publiques ne peuvent pas s’engager à l’avance à prendre une décision dans un sens déterminé, ou plus généralement, ne peuvent pas contractualiser au sujet de l’exercice d’une compétence.

Le principe est incontestable. Il a été réaffirmé dans des termes clairs par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, dans l’éditorial du rapport public de 2008 du Conseil d’État, « les personnes publiques, ne peuvent pas disposer de leur compétence ni contracter dans des domaines où elles sont tenues d’agir par décision unilatérale comme en matière de police administrative. C’est ainsi et il convient de s’y tenir fermement » .

Et la doctrine convient également que « sont nulles, ou en tout cas sans effet, les conventions relatives à l’exercice d’un pouvoir de décision unilatérale », et cette interdiction de contracter au sujet d’un pouvoir de décision unilatérale a notamment pour conséquence « l’interdiction de prendre un engagement sur une décision à venir » .

Le fondement de l’interdiction se comprend sans peine : une personne publique ne peut pas s’engager sur l’exercice de son pouvoir de décision unilatérale parce que, au moment où elle fera usage de ce pouvoir, elle devra en faire usage en fonction de ce que l’intérêt général commandera de faire .

Partant, même si certains auteurs considéraient que, par la voie d’une interprétation constructive du principe de l’interdiction faite à une personne publique de contracter sur son pouvoir de décision unilatérale , les promesses de cession des dépendances domaniales pouvaient être légalement conclues, il demeurerait clairement un sujet .

II. – Et c’est précisément ce sujet – souligné par le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 – que l’ordonnance a en partie réglé.

Cette ordonnance a en effet introduit un nouvel article L. 3112-4 dans le Code général de la propriété des personnes publiques, qui dispose que « un bien relevant du domaine public peut faire l’objet d’une promesse de vente ou d’attribution d’un droit réel civil dès lors que la désaffectation du bien concerné est décidée par l’autorité administrative compétente et que les nécessités du service public ou de l’usage direct du public justifient que cette désaffectation permettant le déclassement ne prenne effet que dans un délai fixé par la promesse ».

Une personne publique peut donc désormais conclure une promesse de vente qui porte sur un bien qui relève de son domaine public, dès lors que la désaffectation du bien a été décidée pour l’avenir, mais ce alors sous la condition suspensive de la désaffectation effective du bien et de son déclassement.

Le texte impose toutefois aux personnes publiques d’introduire, dans la promesse, une ou plusieurs clauses précisant qu’en cas de survenance d’un événement impliquant le maintien de l’affectation du bien à l’utilité publique, le bien doit alors demeurer une dépendance du domaine public .

En pratique, l’introduction d’une clause résolutoire devrait permettre de respecter cette obligation. Et, pour protéger les personnes publiques lors de la réalisation d’un événement faisant obstacle à la désaffectation et au déclassement du bien, le texte précise qu’il n’est pas possible de prévoir que la résolution donne lieu à une indemnisation du bénéficiaire de la promesse au titre d’un éventuel manque à gagner : seules « les dépenses engagées par lui et profitant à la personne publique propriétaire » peuvent être remboursées au bénéficiaire de la promesse. Comme le relève un auteur, « l’objectif est ici d’éviter que la crainte des conséquences indemnitaires mène les gestionnaires domaniaux à se priver de leur liberté de gestion et de mutation du domaine public, au détriment de la continuité de l’affectation du domaine public au service public ou à l’usage direct du public ».

Si le principe est donc acquis aujourd’hui pour les promesses de vente conclues depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017, « ce nouvel article n’a pas été rédigé pour rétroagir » , de sorte que la légalité des promesses de cessions des biens du domaine public conclues avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance demeurait incertaine, en raison des principes évoqués plus haut.

III. – Par une décision Commune d’Aix-en-Provence, du 15 novembre 2017 , le Conseil d’État a définitivement tranché le sujet : « aucune disposition du Code général de la propriété publique ni aucun principe ne faisaient obstacle à ce que, antérieurement à l’entrée en vigueur de ces dispositions [ de l’article L. 3112-4 introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques par l’ordonnance du 19 avril 2017], des biens relevant du domaine public fassent l’objet d’une promesse de vente sous condition suspensive de leur déclassement, sous réserve que le déclassement soit précédé de la désaffectation du bien et que la promesse contienne des clauses de nature à garantir le maintien du bien dans le domaine public si un motif, tiré notamment de la continuité du service public, l’exigeait ».
Ce faisant, le Conseil d’État « valide » les promesses de vente des dépendances domaniales signées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017, à la double condition que ces promesses soient conclues sous la condition suspensive de la désaffectation et du déclassement du bien, et qu’elles comprennent une clause résolutoire dans le cas où un motif tiré notamment de la continuité du service public, exigerait le maintien du bien dans le domaine public.

La solution est opportune, mais elle n’est pas sans susciter quelques réflexions.

On peut en effet regretter que le Conseil d’État n’ait pas repris exactement les formules employées par le nouvel article L. 3112-4 précité, et ce par exemple pour indiquer l’autre cas dans lesquels le bien doit demeurer dans le domaine public à raison d’un évènement particulier qui intervient en cours d’exécution de la promesse. Il est vrai que l’emploi du terme « notamment » permet très certainement de couvrir le cas dans lequel des motifs tirés de la protection des libertés auxquelles le domaine est affecté imposent le maintien du bien dans le domaine public – mais faut-il comprendre qu’il permet, au-delà, que d’autres motifs, non visés par l’article L. 3112-4, permettraient aussi une résolution de la promesse ?

De même, on peut regretter que le Conseil d’État n’ait pas précisé si les promesses conclues par le passé sont légales alors même qu’elles prévoiraient une clause d’indemnisation qui, en cas de survenance d’un événement impliquant le maintien du bien dans le domaine public, couvrirait un préjudice du bénéficiaire bien supérieur aux seules dépenses qu’il a engagées et qui ont été utiles à la personne publique. On le disait plus haut, en effet, il y a une logique certaine à restreindre les indemnités dues dans ce cas de figure, au risque sinon de neutraliser le pouvoir de gestion du propriétaire du domaine public.

Et, de manière plus générale, on peut souligner, avec d’autres , qu’il est dommage que la décision et/ou les conclusions du Rapporteur public n’aient pas été l’occasion de régler également les débats évoqués plus haut, sur le caractère potestatif ou non d’une condition attachée au déclassement d’un bien, ou sur sa validité au regard de l’interdiction faite aux personne publiques de s’engager à prendre une décision unilatérale dans un sens déterminé.

Astrid Boullault – Avocat à la cour 

 

Article L.3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques
CE, 15 novembre 2017, Commune d’Aix-en-Provence, req. n° 409728
article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; CE, 13 février 2015, Commune de Forges-les-Eaux, req. n° 376864 ; CAA de Nantes, 12 décembre 2014, M. A. et autres, req. n° 13NT01632 ; Réponse ministérielle, 9 mars 2010, n° 54176
article 1589 du code civil
CE, 1er mars 1999, req. n°71140 ; CAA Nantes, 12 avril 1995, req. n° 94NT00843 ; CAA Lyon, 8 juillet 2004, req. n° 99LY00595 ; CAA Versailles, 23 mars 2006, req. n° 05VE00070
I. Omarjee, « Les avant-contrats et le domaine public », La semaine juridique – édition notariale et immobilière n°25, 19 juin 2009 ; Y. Gaudemet, « Droit administratif des biens » ; LGDJ, 14e édition, 2011, n°251 et suivants ; L. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet « les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement », AJDA 2014, p. 96

CAA de Lyon, 20 octobre 2011, req. n°10LY01089
TA de Paris, 19 décembre 2011, Association Accomplir, req. n° 1100847
Y. Gaudemet, Traité de droit administratif – Droit administratif des biens, Tome 2, LGDJ, Lextenso Éditions, 14e édition, 2011, p. 159109 congères des notaires de France, « Propriétés publiques, quels contrats pour quels projets », p. 436
I. Omarjee, « Une collectivité publique peut-elle consentir une promesse de vente sur une dépendance de son domaine public ? », Revue Lamy Collectivités territoriales, 2009 ; I. Omarjee, « Les avant-contrats et le domaine public », JCP N n° 25, 19 juin 2009
J-M. Sauvé, Éditorial du rapport public 2008 du Conseil d’État, « Le contrat, mode d’action publique et de production de normes », La documentation française, p. 9
L. Richer, « Droit des contrats administratifs » L.G.D.J, ed. 2012, p. 63
L. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet « Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement », AJDA 2014, p. 961
. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet « Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement », AJDA 2014, p. 961
109 congères des notaires de France, « Propriétés publiques, quels contrats pour quels projets », p. 436
« L’article 10 consacre la possibilité, pour les personnes publiques, de conclure des promesses de vente portant sur des biens du domaine public, sous condition suspensive de déclassement, avec un véritable engagement de désaffectation et de déclassement, possibilité jusqu’ici discutée par la doctrine et sur laquelle le juge n’a jamais été amené à se prononcer clairement. »
« A peine de nullité, la promesse doit comporter des clauses précisant que l’engagement de la personne publique propriétaire reste subordonné à l’absence, postérieurement à la formation de la promesse, d’un motif tiré de la continuité des services publics ou de la protection des libertés auxquels le domaine en cause est affecté qui imposerait le maintien du bien dans le domaine public ».
P. Hansen, « La réforme du Code général de la propriété des personnes publiques », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales,m ai 2017, p. 2122
C. Chamard-Heim et F. Lichère, « Validité d’une promesse de vente de biens du domaine antérieure à l’ordonnance domaniale et modification illégale d’une concession », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, Décembre 2017, p. 2320
précitée
P. Cornille, « Déclassement et permis de construire – Une souplesse inspirée de la jurisprudence Comité d’intérêt de Quartier Vallon des Auffes Corniche (CE, 23 avr. 2003, n° 249.918) ? », Construction – Urbanisme, février 2018, étude 2 ; F. Lombard, « la licéité de la vente d’un bien public sous condition suspensive de déclassement », Recueil Dalloz 2018, p. 785 ; C. Chamard-Heim et F. Lichère, « Validité d’une promesse de vente de biens du domaine antérieure à l’ordonnance domaniale et modification illégale d’une concession », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, Décembre 2017, p. 2320
Conclusions de O. Henrard sur la décision précitée, publiée au Bulletin Juridique des Contrats Publics, 2018, p. 116