La loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, dite loi « SREN », a été promulguée le 21 mai dernier et publiée au journal officiel le lendemain. Elle est donc en vigueur depuis le 23 mai 2024. Cette nouvelle loi, qui s’inscrit dans la mise en œuvre du paquet législatif sur les services numériques européen, a pour objectif de rendre le droit français compatible avec le droit de l’Union européenne dont notamment le Digital Service Act (Règlement UE 2022/2065[1] communément appelé « DSA »). Afin d’améliorer la régulation de l’espace numérique, la loi SREN comporte, entre autres, diverses dispositions visant à lutter contre la désinformation. Ces mesures prennent une dimension toute particulière dans le contexte électoral et géopolitique que nous traversons aujourd’hui. La lutte contre les informations trompeuses ou fabriquées de toutes pièces (« fake news ») constitue un défi majeur pour l’Europe et pour ses Etats membres, d’autant plus en période de campagne électorale. En ce sens, la loi SREN vient compléter certaines dispositions de la loi « fake news » de 2018 spécifiques à la régulation de la désinformation en période électorale[2].
Une des dispositions marquantes de la loi SREN en matière de lutte contre la désinformation concerne la publication en ligne des « hypertrucages », plus communément appelés les « deepfakes ». On se souvient ici de l’image du président Emmanuel Macron en manifestant gilet jaune, ou encore, plus récemment, des vidéos des fausses nièces Le Pen sur la plateforme TikTok. La prolifération de ces images n’est pas sans conséquence sur l’opinion publique, comme le rapporte un récent sondage de l’IFOP selon lequel seulement 33 % des Français s’estiment capable de discerner un contenu photo ou vidéo généré par une intelligence artificielle (IA) d’un contenu réel[3].
Afin de lutter contre ce phénomène, la loi SREN puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de porter à la connaissance du public ou d’un tiers le « contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et représentant l’image ou les paroles d’une personne » sans l’autorisation de la personne concernée et qui n’apparait pas à l’évidence comme un contenu généré par IA ou sur lequel l’utilisation de l’IA n’est pas expressément mentionnée. Cette sanction est portée à 45 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement en cas d’utilisation d’un service de communication en ligne (article 15 de la loi SREN qui modifie l’article 226-8 du Code pénal).
La loi SREN renforce également, de manière considérable, les pouvoirs de l’ Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – ARCOM (ex CSA), notamment en cas de tentative de désinformation de médias étrangers. L’article 11 de la Loi pour la confiance en l’économie numérique[4] est modifié en ce sens pour permettre à l’ARCOM de mettre en demeure les éditeurs et fournisseurs de services d’hébergement de sites internet de retirer tout contenu provenant d’un média étranger frappé par des sanctions européennes. C’est par exemple le cas du média Russia Today, considéré comme un média de propagande du Kremlin, dont la diffusion a été interdite[5]. Si les acteurs concernés ne se conforment pas à la mise en demeure dans le délai imparti, l’ARCOM pourra désormais imposer des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise concernée ou 250 000 euros. L’Autorité pour également demander au fournisseur de service d’accès à internet de bloquer son accès (article 14 SREN).
L’ARCOM pourra, en outre, intervenir de manière plus générale, notamment en ce qui concerne les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche[6], par la conduite d’audits ayant pour objet de vérifier leur conformité aux règles de régulation mises en place par la SREN et par la publication de bilans périodiques sur les mesures prises par ces plateformes pour « lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité [des] scrutins » (article 54 de la SREN modifiant l’article 58 de la loi Léotard de 1986[7]).
Enfin pour les périodes électorales, l’article L. 163-1 du Code électoral est modifié pour imposer à ces géants du numérique, pendant les trois mois qui précèdent une élection générale et jusqu’à la date du dernier tour du scrutin, une obligation de tenir un registre contenant des informations « loyale, claire et transparente » sur l’identité des personnes qui réalisent de la communication rémunérée sur ces réseaux et sur le montant des rémunérations perçues[8] (article 56 loi SREN).
[1] Règlement UE 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numérique
[2] Loi n°2018-1210 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information
[3] Sondage IFOP publié le 27 mars 2024 intitulé « Les français et les jeunes face aux deepfakes »
[4] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
[5] Mesure confirmée par le Tribunal de l’Union européenne le 27 juillet 2022, affaire T-125/22, RT France c/ Conseil
[6] Les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche en ligne sont définis par le DSA, article 33 comme les plateformes en ligne et les moteurs de recherche qui ont un nombre mensuel moyen de destinataires actifs égal ou supérieur à 45 millions et qui sont désignés comme tels par décision de la Commission.
[7] Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
[8] Un décret d’application devrait venir préciser cette disposition