La question des autorisations spéciales d’absence est venue sur le devant de la scène pendant la crise sanitaire. Pour les agents qui ne pouvaient exercer leurs fonctions à distance, sans pour autant réunir les conditions pour être placé en congé de maladie, l’administration disposait alors d’une bien faible marge de manœuvre, et a donc fait appel à cet outil très souple.
Pour lui donner un cadre juridique, on avait déterré une instruction ministérielle du 23 mars 1950, bien peu convaincante, que l’on a ensuite cherché à étoffer avec les fameuses F.A.Q. de la direction générale de l’administration et de la fonction publique, ce qui n’était guère mieux.
Il faut dire qu’à l’exception des autorisations d’absence bénéficiant aux agents exerçant un mandat syndical ou électif, et de quelques autres régimes ponctuels[1], le régime des autorisations spéciales d’absence reste particulièrement indéterminé.
L’article 21 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont le principe reste toujours applicable, renvoyait en effet à un décret en Conseil d’Etat le soin de définir la liste des autorisations d’absence et leurs conditions d’octroi. Ce décret n’est toutefois jamais intervenu.
Depuis les années 80, le Conseil d’État a confirmé cette carence ne s’opposait pas à l’octroi d’autorisations d’absence aux agents publics[2].
Dans la fonction publique d’Etat, on a cherché à suppléer à cette carence en procédant par notes de service et circulaires, mais cette solution est imparfaite. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, le régime des autorisations d’absence est « un élément du statut des fonctionnaires et ne peut dès lors être réglementé par voie de circulaire »[3]. Les circulaires et notes de service qui le réglemente ne peuvent donc que se limiter à indiquer la simple faculté, pour le chef de service d’accorder à ses agents des autorisations d’absence ; elles ne peuvent, ni accorder de droits à bénéficier de ces autorisations d’absences, ni fonder un refus opposé par l’administration à une telle demande[4].
L’octroi d’autorisations d’absences reste donc un pouvoir largement discrétionnaire, dans les mains du chef de service, ce qui est cohérent. Titulaire du pouvoir hiérarchique, il est compétent pour définir, dans l’intérêt du service, les missions et tâches quotidiennes de ses subordonnés. Or le pouvoir de confier une mission est nécessairement, également, le pouvoir de ne pas en confier. Une autorisation d’absence n’est en réalité rien d’autre que la décision prise par un chef de service, dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique, d’exonérer, l’agent de l’exercice de ses fonctions pour une durée déterminée.
Ce régime juridique particulièrement libéral dans le silence des textes présentait, pour les collectivités, une opportunité d’instituer de nouveaux droits au bénéfice de leurs agents, notamment lorsque la question de l’instauration de congés menstruels s’est manifestée dans le champ politique et médiatique.
Toujours prompts à intervenir en la matière, les préfectures ont contesté la légalité de ces autorisations d’absence, ce qui a donné lieu à des décisions particulièrement contestables de la part des Tribunaux administratifs de Grenoble et Toulouse.
Selon ces juridictions, dès lors que ces autorisations d’absence ne peuvent se rattacher aux « autorisations d’absence liées à la parentalité et à l’occasion de certains évènements familiaux », elles ne disposent pas de fondement juridique, et ne pouvaient donc légalement être instituées[5].
Or ce raisonnement ne tient pas. On l’a dit, le fondement juridique des autorisations d’absence n’est pas une disposition du Code général de la fonction publique, mais le pouvoir de direction de l’employeur, qui peut décider, sous réserve des nécessités du service d’autoriser ses subordonnés à s’absenter. Aucun principe ne prévoit que les catégories d’absence doivent être instituées par le législateur ou le pouvoir réglementaires. Les dispositions de l’article L. 622-1 prévoient donc certes que des autorisations d’absence peuvent être octroyées pour des motifs parentaux ou familiaux, mais elles n’ont en aucun cas pour portée de limiter à ces seules hypothèses les absences permises par le supérieur hiérarchique.
Soulignons, tout d’abord, que si tel avait été le cas, aucune autorisation d’absence n’aurait pu être légalement octroyée pendant la crise sanitaire lorsque le travail à distance n’était pas possible et que le retour physique au service était encore exclu.
Ensuite, même en dehors de cette hypothèse exceptionnelle, la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’autorisation d’absence pour la célébration de certaines fêtes l’avait préalablement démontré. Il juge en effet que la décision du chef de service d’autoriser ou non son agent à s’absenter pour célébrer une fête ne peut être prise qu’en considération des nécessités du service. Il a d’abord, en 1997, annulé la décision du directeur du centre Pompidou qui avait refusé l’octroi d’une telle autorisation[6]. Puis, en 2012, il a annulé une circulaire ministérielle qui prévoyait que les autorisations d’absence en la matière « concernent les seules religions pour lesquelles la fonction publique assure une publication annuelle », en considérant « qu’il appartient toutefois au chef de service d’apprécier au cas par cas si l’octroi d’une autorisation d’absence sollicitée par un agent pour participer à une fête autre que l’une des fêtes religieuses légales est compatible avec les nécessités du fonctionnement normal du service »[7].
Les autorisations d’absence pour certaines célébrations sont donc possibles, et ne peuvent d’ailleurs être interdites par principe, alors même qu’elles ne sont prévues par aucune disposition législative ou réglementaire, et qu’elles ne sont évidemment pas en lien direct avec des questions familiales ou parentales.
On peut donc douter du bien-fondé des décisions des Tribunaux administratifs de Grenoble et Toulouse.
Une autre tentative de limiter le pouvoir des collectivités locales en la matière a été initiée en 2024 par une préfecture, cette fois sans succès. Elle contestait l’octroi, par une commune, d’autorisations d’absences qui relevaient bien d’évènements familiaux (mariages et PACS), mais qui étaient d’un volume plus important que ce que prévoyaient la pratique au sein de la fonction publique de l’Etat, en l’occurrence huit jours plutôt que cinq dans la plupart des ministères. Pour arguer de l’illégalité de cette réglementation, la préfecture se prévalait du principe de parité, soutenant que, comme en matière de régime indemnitaire ou de temps de travail, les avantages des fonctionnaires d’Etat devaient constituer un plafond au-delà duquel les collectivités ne pouvaient aller[8].
Le Tribunal administratif de Melun n’a toutefois pas suivi la préfecture : rappelant la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle les ASA constituent un élément du statut des fonctionnaires ne pouvant être réglementé par voie de circulaires, il a rejeté la critique en considérant que le principe de parité ne pouvait être opposé en l’absence de réglementation en la matière.
On comprend donc qu’en l’état du droit positif, l’octroi d’autorisations d’absences ne peut par principe être limité, ni aux hypothèses explicitement prévues par le Code général de la fonction publique, ni par le principe de parité, ni par les notes de service ou circulaires des administrations de l’Etat.
Est-ce à dire que tout est possible ? Certes non. La jurisprudence le rappelle systématiquement, chaque autorisation d’absence est octroyée après une analyse, au cas par cas, des nécessités du service. Une réglementation, si elle est mise en place par l’autorité territoriale, ne peut donc, ni prévoir que certaines autorisations d’absence doivent être systématiquement refusées, ni instituer formellement de droits opposables à ces absences pour les agents. Par ailleurs, il est clair que des exonérations de service trop importantes finiraient également par poser un problème sur le plan de la responsabilité budgétaire des responsables publics.
Reste que, sous ces réserves, le droit laisse à notre sens beaucoup de marge de manœuvre, comme toujours s’agissant du pouvoir réglementaire du chef de service : peut-on réellement affirmer qu’accorder une journée de repos à une agente indisposée – et en tout état de cause peu à même d’affronter pleinement ses missions – est contraire à l’intérêt du service ? À Toulouse et Grenoble, le juge a esquivé cette question gênante en usant d’un argument juridique discutable. Mais, si elle était posée de cette façon, peut-être la réponse serait cette fois différente.
Plus généralement, il est certainement possible de mettre en place des dispositifs qui s’emparent des enjeux renouvelés du travail, de l’égalité et de l’attractivité de la fonction publique – sous réserve d’être prêts à affronter les réticences des préfectures, et tant, bien sûr, que le pouvoir réglementaire reste silencieux.
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[1] Sapeur-Pompier volontaires, Jury d’assises, etc.
[2] CE, 20 décembre 2013, Fédération autonome de la fonction publique territoriale, n° 351682.
[3] CE, 12 mars 1982, n° 32792 ; CE, 10 juillet 1985, n° 44319
[4] CE, 30 janvier 2019, n° 410518.
[5] TA Toulouse, 20 novembre 2024, n° 2406364 et 2406584 ; TA Grenoble, 17 février 2025, n° 2500479 et 2500481.
[6] CE, 12 février 1997, n° 125893.
[7] CE, 26 octobre 2012, n° 346648.
[8] TA Melun, 11 juillet 2024, n° 2309586.