Droit pénal et de la presse
le 19/05/2022

Les apports de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêts

Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (1)

Parmi les nombreux apports de la Loi n°2022-217 du 21 février 2022 dite Loi 3DS, figurent notamment des mécanismes destinés à sécuriser la représentation des Collectivités au sein de leurs organismes satellites. La création d’un nouvel article L.1111-6 du Code général des Collectivités territoriale, et la modification de son article L.1524-5 par l’ajout de deux alinéas, répond à cet objectif : poser un principe d’exclusion du conflit d’intérêt au profit de l’élu représentant sa Collectivité au sein de certaines entités tierces, et l’assortir de certaines exceptions. Ce mécanisme, est encore appelé à évoluer puisque certaines dispositions le concernant ne seront applicables qu’à compter du 1er janvier 2023. En tout état de cause, sa portée devra être précisée par la jurisprudence, pénale notamment ; elle peut toutefois d’ores et déjà être appréciée à l’aune d’une autre modification législative, cette fois de l’article 432-12 du Code pénal, portée par la Loi du 22 décembre 2021.

1. Synthèse des apports de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêts

D’emblée, il faut souligner que la Loi 3DS n’emporte pas en tant que telle de modification de la notion de conflit d’intérêts[1], pas plus que de l’incrimination de prise illégale d’intérêts – qui a certes fait l’objet d’une modification contemporaine à la Loi 3DS mais portée cette fois par la Loi du 22 décembre 2021[2].

Son apport sur ce point se situe sur un autre plan : consacrer dans le Code général des collectivité territoriale un principe de représentation des Collectivités au sein d’organismes tiers par leurs élus, en précisant que ceux-ci ne peuvent être considérés comme intéressés au sens notamment du délit de prise illégale d’intérêt. Ce principe doit alors classiquement s’apprécier au regard des dispositions de l’article 122-4 du Code pénal, aux termes duquel pour mémoire « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».

En ce sens, la substance des apports de la Loi 3DS en matière de conflit d’intérêts est à rechercher dans son article 217 qui, d’abord, ajoute au Code général des collectivités territoriales un nouvel article L.1111-6 prévoyant que « les représentants d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432-12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté ».

La lecture du texte se suffit à elle-même et nous verrons dans les développements qui suivent que le principe ainsi érigé souffre certaines exceptions. Relevons néanmoins dès à présent que si le texte vise – de manière large – la représentation au sein de structures publiques comme privées, c’est à la condition que ce mécanisme soit prévu par la Loi

Le même article 217 modifie également le 11e alinéa de l’article L1524-5 du Code général des collectivités territoriales, qui se trouve désormais ainsi rédigé : « nonobstant l’article L. 1111‑6 du présent code, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés, de ce seul fait, comme étant intéressés à l’affaire, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432‑12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale ».

Rappelons que l’ancienne rédaction de l’article L.1524-5 contenait déjà un dispositif relatif aux conflits d’intérêts, dont la portée était toutefois limitée à la notion de conseiller intéressé, « au sens de l’article L. 2131-11 », ce qu’avait d’ailleurs relevé la Haute autorité sur la transparence de la vie publique (HATVP) en son temps [3].

Le principe, et son effet sur le plan de responsabilité pénale, est ainsi désormais clairement exprimé tant par l’article L.1111-6 que par l’article L.1524-5, et il n’est plus permis de douter des intentions du Législateur sur ce point. Relevons par ailleurs que le champ d’application du second est quant à lui plus précisément circonscrit aux « sociétés d’économie mixte locales » et aux fonctions exercées au sein de leurs Conseils d’administration ou de surveillance, outre les mandats de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de président du conseil de surveillance.

En application de ce double mécanisme, l’élu concerné n’est pas en situation de conflit d’intérêt au sens de l’article 2 de la Loi du 11 octobre 2013, ne peut être considéré comme conseiller intéressé à l’affaire au sens de l’article L.2131-11 du Code général des collectivités territoriales, et ne peut se voir imputer le délit de prise illégale d’intérêts prévu et réprimé par l’article 432-12 du Code pénal.

Reste que ce principe exonératoire souffre plusieurs exceptions[4], que l’on peut énumérer succinctement comme la participation aux décisions de la collectivité attribuant un marché à l’entité concernée, lui consentant une garantie d’emprunt ou une aide ; il faut y ajouter la participation aux commissions d’appel d’offre et les délibérations de la collectivité portant sur la désignation ou la rémunération de l’élu au sein de cette entité. L’article L.1111-6 ajoute enfin une exception à l’exception – revenant donc à l’exonération de principe – pour les élus « représentants des collectivités territoriales (…) qui siègent au sein des organes décisionnels d’un autre groupement de collectivités territoriales » ou « qui siègent au sein des organes décisionnels des établissements mentionnés aux articles L. 123-4 et L. 123-4-1 du code de l’action sociale et des familles et à l’article L. 212-10 du code de l’éducation »[5].

Dans le champ de l’exception, l’obligation de déport demeure, une participation de l’élu à la décision pouvant notamment consommer le délit de prise illégale d’intérêts. Rappelons sur ce point que la prudence invite à conserver une acception large de cette obligation de déport, et donc à s’extraire du processus d’instruction, d’élaboration et de présentation de la décision, de toute présence à l’assemblée délibérante, du vote de la décision – fût-ce par le biais d’un pouvoir – et de sa mise en œuvre.

Il est encore un apport de la Loi 3DS qui, s’il ne produira son plein effet qu’à compter du 1er janvier 2023, mérite d’ores et déjà l’attention : la représentation des Collectivités au sein des filiales des sociétés d’économie mixtes locales.

La portée générale de l’article L.1111-6 nouveau du Code général des collectivités territoriales invite en effet à considérer qu’un élu représentant sa Collectivité non pas au sein de la Société d’économie mixte dont elle est directement actionnaire, mais au sein d’une filiale de celle-ci, doit bénéficier des mécanismes d’exemption précitées dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves.

C’est toutefois à la condition que cette représentation au sein de la filiale considérée soit « prévue par la Loi » ; et c’est ici le nouvel article L.1524-5-1 du Code général des collectivités territoriales – introduit par l’article 216 de la Loi 3DS mais qui n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2023 – qu’il faut considérer.

Ces dispositions – futures donc – posent tout d’abord le principe de représentation de la Collectivité actionnaire d’une société d’économie mixte à l’assemblée générale des filiales de celle-ci – i.e. les structures qu’elle détient à plus de 50%. Dans ce cas, l’élu représentant la Collectivité au sein de cette Assemblée générale peut bénéficier des mécanismes de l’article L.1111-6 du Code général des collectivités territoriales.

En revanche, la représentation de la Collectivité au sein de la gouvernance de cette filiale n’est organisée par l’article L.1524-5-1 que pour les sociétés anonymes, et seulement pour les fonctions de membre du Conseil d’administration ou de surveillance.

Aussi pourrait-on considérer que la représentation d’une Collectivité au sein d’une filiale constituée sous une autre forme que celle de société anonyme, ou au sein d’autres instances que son assemblée générale, son conseil d’administration ou de surveillance, ne pourrait bénéficier du dispositif de l’article L.1111-6 ; et l’élu concerné se verrait alors contraint de s’astreindre aux mécanismes de déports précités.

Bien sûr, ces mécanismes sont encore neufs et leur application demeure contingente d’une Jurisprudence à venir, dont on peut tout au plus s’attacher en l’état à anticiper les contours.

2. Mesure de la portée de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêts

Sur le principe, l’intention du Législateur semble claire : doter les élus représentant leur Collectivité au sein de structures satellites – sociétés d’économie mixtes locales mais aussi d’autres structures pour lesquelles le principe de représentation est prévu par la Loi – de mécanismes de sécurisation de leur intervention au regard notamment du risque pénal.

Il faut en effet rappeler que la Jurisprudence pénale rendue en matière de prise illégale d’intérêt s’est progressivement mais résolument étendue à des actes pourtant perçus comme éloignés de considérations de probité ; des actions conformes à l’intérêt général, non préjudiciables, exempts de toute considération pécuniaire, voire dépourvus d’intention délictueuse établie[6] ont ainsi pu entrer dans le champ de la répression.

A ce titre, les dispositifs mis en place par la Loi 3DS doivent être salués : ils présentent l’intérêt de dessiner un cadre d’intervention pour les élus. Les contours précis de ce cadre devront néanmoins être façonnés par la Jurisprudence, notamment quant à la portée des exceptions prévues et donc des sujets sur lesquels l’élu devra se déporter.

A titre d’exemple, lorsque la Loi évoque l’attribution d’un marché, faut-il y inclure un avenant ? De même, pour la question des aides et cautionnements, qu’en sera-t-il de la souscription à une augmentation de capital ou d’un apport en compte courant d’associé ?

Autant de questions qui devront être tranchées par le Juge pénal, et auxquelles il conviendra d’être attentif pour mettre en œuvre à bon escient d’éventuelles obligations de déport, seuls moyens de neutraliser le risque.

*

Enfin, les apports de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêt ne peuvent être examinés sans mise en perspective avec la modification apportée à l’article 432-12 du Code pénal par la Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Rappelons que ce texte a substitué à la notion d’intérêt quelconque, celle d’un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de son détenteur qui, lorsqu’il est détenu par une personne chargée d’un pouvoir de surveillance sur une entreprise ou une opération, peut consommer le délit de prise illégale d’intérêt à son égard.

Là encore, la portée de cette modification ne pourra être pleinement mesurée qu’à la lumière de la Jurisprudence pénale à venir, dans le contexte des positions déjà exprimées par la HATVP en la matière ; l’on peut néanmoins s’accorder sur le fait que, parce qu’il exige désormais un intérêt non plus quelconque mais qualifié, le champ d’application du délit de prise illégale d’intérêt devrait s’en trouver réduit.

En ce sens et bien que la prudence reste de mise, ces deux textes pourraient constituer l’amorce d’une évolution de l’appréhension, notamment pénale, des conflits d’intérêts entre les collectivités et leurs satellites dès lors que leurs actions convergent et concourent à la satisfaction de l’intérêt général.

Un article de Matthieu Hénon paru dans La Gazette des Communes n° 2613 du 2 mai 2022

 

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[1] Cette notion demeure ainsi définie par l’article 2 I de la Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique dans les termes suivants : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »

[2] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[3] Guide déontologique II de la HATVP « Contrôle et prévention des conflits d’intérêts », Février 2021, p.16, consultable en ligne https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2021/02/HATVP_GuideDeontologiqueII_VF.pdf.

[4] Ces exceptions sont posées par l’article L.1111-6 II et L1524-5 al. 12 du Code général des collectivités territoriales.

[5] Il s’agit en substance des centre communaux et intercommunaux d’action sociale et des caisses des écoles.

[6] Cass. Crim. 22 octobre 2008, 08-82.068, Bull. Crim. 212 : « l’infraction est constituée même s’il n’en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité et retiennent que le dol général caractérisant l’élément moral du délit résulte de ce que l’acte a été accompli sciemment ».