Urbanisme, aménagement et foncier
le 20/07/2023

Légalité de la préemption en vue de la création de places de stationnement nécessaires à un projet de logements mixtes, et prise en compte de la pression spéculative sur le foncier et du faible nombre de logements sociaux sur la Commune

CE, 30 juin 2023, n° 464324

Par décision en date du 23 avril 2018, le Maire de Vincennes a préempté un volume consistant en une surface de sous-sol à usage d’aire de lavage pour automobiles.

Les acquéreurs évincés ont alors saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir, mais le Tribunal a rejeté leur requête. Ils ont alors interjeté appel. La Cour administrative d’appel a également rejeté leur requête.

Les acquéreurs évincés se sont alors pourvus en cassation. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État a d’abord rappelé les spécificités de cette affaire.

En effet, le Conseil d’État a indiqué que la société d’économie mixte (SEM) de Vincennes (VINCEM) avait obtenu un permis de construire, le 29 septembre 2017, afin de construire douze logements sociaux à Vincennes. Seulement, afin d’assurer le financement de son projet, VINCEM a finalement sollicité, courant mars 2018, un permis de construire modificatif afin de prévoir la vente de cinq logements sur douze, réduisant ainsi le nombre de logements sociaux à sept.

Ce faisant, cette diminution du nombre de logements sociaux dans le programme a rendu nécessaire la réalisation de places de stationnement pour les logements à vendre. En effet, si le plan local d’urbanisme de Vincennes n’exige pas de prévoir une place de stationnement par logements sociaux, cette exigence est requise pour les autres projets de logements.

C’est donc dans le seul but de permettre à VINCEM de réaliser des places de stationnement pour ses cinq futurs logements à vendre – et non sociaux -, et ainsi de concrétiser la réalisation de ce projet, notamment composé de logements sociaux, sur le territoire communal, que le Maire a décidé de préempter le bien.

Surtout, il est intéressant de relever que le volume préempté ne se situe pas sur la parcelle objet du programme de logements mixtes de VINCEM, mais sur une parcelle distincte et séparée d’elle de 230 mètres. Et ce, alors même qu’un parking public était également présent à environ 700 mètres du projet de logements.

Cela étant rappelé, le Conseil d’État a, en premier lieu, sur le fondement des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, considéré que les juges du fond n’avaient pas dénaturé les pièces du dossier, ni commis d’erreur de droit, en jugeant que la commune démontrait la réalité de son projet à la date de la préemption, projet qui devait être apprécié, « non au regard de la création de places de stationnement à l’adresse du bien préempté, mais compte tenu des caractéristiques globales de l’opération d’aménagement à laquelle la création de ces places participe ».

En deuxième lieu, d’une part, le Conseil d’État a confirmé que la Cour administrative d’appel n’avait pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant que la décision de préemption, « quand bien même elle ne porte que sur un lot de copropriété séparé du terrain d’assiette de la construction, [la préemption] participe à la réalisation d’un programme de construction de sept logements sociaux sur un programme de douze logements, avait, par nature, pour objet la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat et répondait à ce titre aux objets définis à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même qu’il ne concourait pas à la mise en œuvre d’un programme local de l’habitat ou d’un programme d’orientations et d’actions d’un plan local d’urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l’habitat ».

D’autre part, le Conseil d’État a considéré que la Cour n’avait pas non plus inexactement qualifié les faits de l’espèce, ni commis d’erreur de droit en jugeant que ce projet, « par son ampleur et sa consistance, appréciées dans le contexte de la commune, marquée par une pression spéculative, une faible disponibilité de terrains et un nombre de logements sociaux insuffisants, et au regard de la taille de cette dernière, comme présentant par lui-même le caractère d’une action ou d’une opération d’aménagement ».

En dernier lieu, le Conseil d’État a confirmé l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que la préemption répondait à un intérêt général suffisant pour la création de places de stationnement, résulte d’une obligation du plan local d’urbanisme, et est légalement nécessaire à l’opération à laquelle ces places participent. Et ce, « alors même que ces places auraient pu être créées dans un parc de stationnement public situé à 700 mètres du projet et que le caractère indispensable au montage financier de l’opération d’aménagement en cause de la construction de logements destinés à la vente ne serait pas établi ».

Par conséquent, en substance, il faut retenir que :

  • Il est possible de préempter un bien pour créer des places de stationnement, dès lors que ce projet s’inscrit dans un projet global de création de logements sociaux, nonobstant la circonstance que ce parc de stationnement n’est pas accolé au terrain d’assiette de la construction ;
  • Une opération de logements mixtes correspond à une action ou opération d’aménagement au sens des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, car a, par nature, pour objet la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat, quand bien même cette opération n’aurait pas pour objet de mettre en œuvre un programme local de l’habitat ;
  • L’autorité préemptrice peut prendre en compte le contexte communal, en particulier la pression spéculative sur son foncier, la faible disponibilité des terrains, et le nombre insuffisant de logements sociaux, pour démontrer que le projet objet de la préemption peut être qualifié d’action ou d’opération d’aménagement au sens des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme ;
  • L’autorité préemptrice n’est pas absolument tenue de vérifier au préalable l’existence d’un parc de stationnement public aux alentours du projet de logements, pour préempter un bien en vue de la réalisation de places de stationnement.