Contrats publics
le 20/01/2022

Le titulaire d’un marché ne peut demander une indemnisation au maître de l’ouvrage du seul fait de fautes commises par d’autres intervenants

CAA Nancy, 28 décembre 2021, Société Sertelet, n° 19NC03317

Il n’est pas rare que, dans le cadre de l’exécution d’un marché à prix global et forfaitaire, le titulaire formule une demande de rémunération supplémentaire afin de compenser des coûts supplémentaires qu’il aurait eu à supporter du fait de difficultés d’exécution.

Par sa décision de principe Société Tonin du 12 novembre 2015 (req. n° 384716), le Conseil d’Etat a précisé comment le bien fondé de telles demandes doit être apprécié : « les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l’estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics ».

Par son arrêt du 28 décembre 2021 (req. n° 19NC03317), la Cour administrative d’appel (CCA) de Nancy apporte un complément important à ce considérant de principe relatif à l’hypothèse spécifique dans laquelle les fautes invoquées par le titulaire ont trait à la mission d’ordonnancement, de pilotage et de la coordination du marché que la personne publique a confiée à un maître d’œuvre.

Cet arrêt a été rendu dans le cadre d’un litige relatif à l’exécution du lot n°4 « charpente bois » d’un marché public de travaux de construction d’un hôpital confié par l’Etablissement public de santé Alsace Nord (ESPAN) à la Société SERTELET. A l’occasion de l’élaboration du décompte général du marché, le titulaire a réclamé l’ajout à son crédit d’une somme de 108.699 € HT au titre de « surcoûts supplémentaires », ce qu’a refusé l’ESPAN. La Société SERTELET a donc saisi le Tribunal administratif de Strasbourg du litige mais celui-ci a rejeté sa demande par jugement du 24 octobre 2019.

Saisie en appel par la Société SERTELET, la CAA de Nancy commence par écarter sa demande d’inscription à son crédit d’une quelconque somme au titre de plans d’exécution qu’elle aurait réalisés à la place du maître d’œuvre, dès lors qu’elle ne démontre pas que l’EPSAN lui en aurait fait la demande de tels travaux supplémentaires.

Puis, après avoir rappelé le considérant de principe dégagé par la décision Tonin précité, la CAA y ajoute, et c’est là le principal apport de cet arrêt, la précision suivante : « En revanche, le titulaire du marché ne peut demander une indemnisation au maître de l’ouvrage du seul fait des fautes commises par d’autres intervenants ».

Et, en l’occurrence, la CAA constate qu’aucune faute de l’EPSAN dans ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché de travaux n’est établie, dès lors qu’il ressortait des pièces produites par la requérante elle-même que ses reproches selon lesquels le maître de l’ouvrage aurait laissé le chantier subir « d’importantes dérives » à l’origine de l’allongement de la durée du chantier étaient en réalité relatifs à la mission d’ordonnancement, de pilotage et de la coordination (OPC), laquelle relevait du maître d’œuvre et non du maître d’ouvrage. Il est également relevé que la Société SERTELET ne démontre pas avoir alerté l’EPSAN des risques de retard et, par ailleurs, qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’EPSAN aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité lors de son choix du titulaire de la mission OPC.

La CAA en conclut que la Société SERTELET n’était pas fondée à demander l’inscription dans le décompte, à son crédit, d’une quelconque somme au titre des fautes qu’auraient commises le maître d’ouvrage. Elle rejette également comme infondées ses autres réclamations formulées, d’une part, contre les pénalités de retard qui lui ont été appliquées et, d’autre part, contre la retenue appliquée par l’EPSAN correspondant au coût des notes de calcul que celui-ci a effectuées à sa place.