Contrats publics
le 16/06/2022

Le titulaire d’un marché de travaux qui n’établit pas le projet de décompte final demeure toujours fondé à contester le décompte général

CE, 19 mai 2022, Sociétés Eiffage Travaux publics Nord et autres, n° 455134

Un syndicat intercommunal (ci-après, le « Syndicat ») a conclu un marché de travaux (ci-après, le « Marché ») avec un groupement solidaire d’entreprises (ci-après, le « Groupement »). À la suite de la réception des travaux, faute pour le Groupement d’établir le projet de décompte final conformément aux stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux en sa version de 2009 (ci-après, le « CCAG »), le Syndicat l’a mis en demeure de produire ce projet.

Le Groupement ayant fait savoir au Syndicat qu’il n’était pas en mesure d’établir ce projet, le Syndicat a, en application de la procédure prévue par le CCAG, établi le décompte général du marché et l’a notifié au Groupement. Le Groupement a, conformément à l’article 50.1 du CCAG, adressé au Syndicat un mémoire en réclamation portant sur une somme totale de 3 161 087,68 euros TTC. Après rejet de sa réclamation, le Groupement a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille qui a partiellement fait droit à sa demande. Toutefois, la cour administrative d’appel de Douai a annulé ce jugement et les membres du Groupement se sont pourvus en cassation contre l’arrêt de la cour.

La question de droit que le Conseil d’État devait trancher était celle de savoir si le titulaire d’un marché de travaux conservait la faculté de contester le décompte général établi par le maître d’ouvrage public sur la base du décompte final établi d’office par le maître d’œuvre en raison de l’absence de production par ce titulaire du projet de décompte final et plus particulièrement sur la faculté du titulaire de contester des demandes non incluses dans le décompte final établi d’office.

Pour répondre à cette question, le Conseil d’État commence par rappeler les modalités d’établissement du décompte général et définitif d’un marché public de travaux telles que définies par les articles 13.3.1 à 13.4.5. du CCAG en soulignant qu’il résulte de ces stipulations que « le titulaire du marché doit dresser un projet de décompte final après l’achèvement des travaux, lequel projet doit être remis au maître d’œuvre dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de réception des travaux. S’il ne se conforme pas à cette obligation, et après mise en demeure restée sans effet, le décompte final peut être établi d’office par le maître d’œuvre. Il appartient ensuite au maître d’ouvrage d’établir, à partir de ce décompte final et des autres documents financiers du marché, un décompte général et de le notifier au titulaire du marché. Si celui-ci n’a pas renvoyé ce décompte général dans les quarante-cinq jours, en exposant le cas échéant les motifs de son refus, ce décompte général est réputé accepté par lui et devient le décompte général et définitif du marché ».

Il donne ensuite la solution à la problématique qui lui était posée en jugeant que les stipulations précitées ont simplement pour objet d’organiser la procédure d’établissement du décompte général et définitif mais non pas pour effet de déterminer les modalités de contestation du décompte général, dès lors que cette contestation est encadrée par l’article 50.1 du CCAG. Ainsi, « lorsque le titulaire du marché n’a pas produit de projet de décompte final et qu’après mise en demeure demeurée sans suite, ce décompte final a été établi d’office par le maître d’œuvre, les stipulations précédemment citées n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de le priver du droit de former, dans le délai de quarante-cinq jours suivant la transmission du décompte général du marché, une réclamation sur ce décompte général, quand bien même elle porterait sur un poste de rémunération ou d’indemnisation qui n’avait pas été mentionné dans le décompte final établi d’office par le maître d’œuvre ».

Il est intéressant de relever que les titulaires des marchés publics de travaux qui n’ont pas établi le projet de décompte final sont tout de même fondés à porter une réclamation sur un poste de rémunération ou d’indemnisation qui n’avait pas été mentionné dans le décompte final établi d’office par le maître d’œuvre et à partir duquel le maître d’ouvrage a arrêté le décompte général. En effet, le Conseil d’État avait jugé que les titulaires des marchés publics de travaux ne sont pas fondés à faire état dans leur mémoire en réclamation de demandes non incluses dans le projet de décompte final qu’ils ont établi (CE, 16 décembre 2015, SAS Ruiz, n° 373509). En offrant cette faculté au titulaire n’ayant pas produit le projet de décompte final, le Conseil d’État a vraisemblablement voulu éviter que le titulaire se trouve dépourvu fasse à l’hypothèse où le maître d’œuvre aurait omis des éléments notables dans le décompte final établi d’office.