Funéraire
le 29/08/2024

Le service de la gestion des crématoriums est-il un service public industriel et commercial ?

Tribunal des Conflits, 8 juillet 2024, n° C4314, Publié au recueil Lebon

C’est à l’occasion d’un contentieux portant sur la mise à la retraite litigieuse d’un agent communal que s’est posé la question, inédite devant les tribunaux, de la qualification du service public de gestion des crématoriums.

Le 23 mai 2018, M. A, assistant funéraire affecté au crématorium de Cornebarrieu, a saisi le conseil des prud’hommes de Toulouse afin d’obtenir la résiliation du CDI qui le lie en cette qualité à la régie communale des pompes funèbres de Toulouse. En cours d’instance et par arrêté du 3 juillet 2018, il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite et radié des cadres à compter du 25 juin 2018. M.A a alors demandé devant la juridiction prud’homale la requalification de cette mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement de diverses sommes. Le conseil des prud’hommes de Toulouse a rejeté la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige par un jugement du 11 mai 2021, infirmé sur ce point par un arrêt du 14 juin 2022 de la Cour d’appel renvoyant les parties devant le conseil des prud’hommes. La Cour de cassation a alors été saisie d’un pourvoi en cassation de la commune de Toulouse contre cet arrêt soutenant la compétence des juridictions administratives. Par un arrêt du 6 mars 2024, la haute juridiction a renvoyé cette question de compétence au Tribunal des Conflits.

La question posée au Tribunal des Conflits est donc celle de la nature administrative ou industrielle et commerciale du service public concerné par le contrat de travaux de M.A. En effet, les contrats conclus entre le gestionnaire d’un service public industriel et commercial (SPIC) avec un agent sont en principe des contrats de droit privé alors que ceux conclus avec la personne publique gérant un SPA sont en principe administratifs. Et c’est de cette distinction découle l’ordre de juridiction compétent pour connaître des litiges dont ils font l’objet. Mais quel est le service public faisant l’objet du contrat de travail en cause ? Le service extérieur des pompes funèbres (ci-après SEPF), lequel comprend notamment la fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques et aux crémations (article L. 2223-19 8° du CGCT) ? ou le service de création et de gestion des crématoriums (article L. 2223-40 du CGCT), auquel participe d’ailleurs ces prestations du SEPF ?

Les deux, semble considérer le Tribunal des Conflits, qui qualifie tour à tour la nature juridique de ces deux services publics pour trancher la question de compétence dont il est saisi. Il rappelle à ce titre que le SEPF, dont les prestations sont ici assurées par la régie en cause ayant employé M.A est un service public industriel et commercial. Cette qualification avait déjà été posée par un avis du Conseil d’Etat du 19 décembre 1995[1] « eu égard à l’origine de ses ressources, constitués par les prix acquittés par les familles en paiement des prestations assurées, et aux modalités de son fonctionnement, marquées par la pluralité des intervenants publics ou privés agissant dans le cadre de la loi précitée du 8 janvier 1993 ». En effet depuis la loi susvisée, et ainsi que le prévoit l’article L. 2223-19 du CGCT, le SEPF est un service public facultatif et concurrentiel :

  • D’une part, la commune ou l’EPCI territorialement compétent en matière de service extérieur des pompes funèbres peut décider de l’instituer/l’organiser ou non (et alors de le laisser à l’initiative privée des opérateurs funéraires) ;
  • D’autre part, qu’elles décident ou non de s’en emparer, ces communes et EPCI (et leurs régies ou délégataires) ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour fournir les prestations du service extérieur des pompes funèbres, celui-ci pouvant être directement exploité par tout opérateur privé dûment habilité.

A l’inverse, le service de création et de gestion des crématoriums est un service public exclusivement placé sous le giron des communes et intercommunalités compétentes (leur gestion pouvant être assurée directement notamment par une régie ou de façon déléguée dans le cadre d’une DSP). Pour autant le Tribunal des Conflits considère, sans le justifier plus avant, que le service de la gestion des crématoriums dont est ici aussi chargée la régie des pompes funèbres de Toulouse est également un SPIC sans que son caractère exclusivement communal ne puisse y faire obstacle. Une circulaire du 12 décembre 1997 avait indiqué en ce sens qu’ « eu égard à l’origine de ses ressources constituées par des redevances acquittées par les familles » l’activité des crématoriums doit être considérée comme un SPIC « lorsqu’elle organisée en régie ». Et ce, à l’exclusion des prestations du service financées par les recettes provenant du budget général de la commune.

Le Tribunal s’inscrit donc dans le prolongement de cette interprétation, sans pour autant préciser s’il cantonne également cette qualification au cas où la gestion du crématorium est confiée à une régie ou à une régie en charge du SEPF. Sur la base de cette qualification d’espèce, le Tribunal des Conflits considère que M. A est lié à la commune de Toulouse par un contrat de droit privé et que le litige en cause relève par conséquent de la juridiction judiciaire.

Cette jurisprudence, qui à notre connaissance est la première à revenir sur la qualification du service de gestion des crématoriums méritera d’être complétée à l’avenir.

 

[1] Conseil d’Etat, avis n° 558.102 du 19 décembre 1995