le 19/11/2015

Le « principe » du silence de l’administration valant accord mis en œuvre au sein des collectivités territoriales et des établissements publics locaux

Depuis le 12 novembre 2015, conformément au délai d’entrée en vigueur défini par le III de l’article 1er de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, le principe selon lequel « le silence vaut acceptation » est applicable aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics, ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale et aux autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif.

Les collectivités territoriales et les personnes morales précitées rejoignent ainsi les administrations et établissements publics d’Etat soumis à ce principe depuis le 12 novembre 2014.

L’année dernière déjà, au moment de l’entrée en vigueur de ce principe pour les administrations d’Etat, nous relevions le paradoxe d’un dispositif présenté comme tendant à la simplification des relations entre les citoyens et les administrés et qui comptait finalement davantage de cas d’exception que d’hypothèses d’application.

Au moment de l’entrée en vigueur de ce principe au niveau local, les craintes d’application que nous identifions, il y a un an, sont sensiblement les mêmes, à raison de la définition – qui plus est très tardive – d’un très grand nombre d’exceptions dérogeant de ce principe (I), et des risques contentieux qui lui sont d’ores et déjà inhérents (II).

I – Un principe aux faux airs d’exception

A titre liminaire, il semble nécessaire de rappeler que l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, tel qu’il s’appliquait pour les administrations locales avant le 12 novembre 2015, prévoyait que « le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande va[lait] décision de rejet ».

En pratique, ce principe impliquait que, à compter de la réception de la demande, l’autorité administrative fasse droit ou rejette par une décision explicite motivée les sollicitations des citoyens dans ce laps de temps de deux mois.

Toutefois, si au terme de ce délai de deux mois, aucune réponse n’était apportée, l’administré était alors titulaire d’une décision implicite de rejet, qui pouvait alors être déférée à la censure du Juge de l’excès de pouvoir dans un nouveau délai de deux mois.
Pour autant, il existait déjà des exceptions à ce principe et, au-delà, des exceptions à ces exceptions.

Ce sont ces dernières situations que le législateur entendait démêler par l’inversion du principe.

Aujourd’hui, soit depuis le 12 novembre 2015, la règle pour l’ensemble des administrations est la suivante : « Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation ».

Cependant, à raison des très nombreux domaines dans lesquels il a été considéré que ce principe ne devait s’appliquer, le constat est aujourd’hui celui d’une règle qui a valeur proclamée de principe alors qu’elle ne trouve pas nécessairement à s’appliquer ni de façon générale, ni dans une majorité des cas.

En définitive, si l’on a peut-être permis la suppression des exceptions aux exceptions, c’est au prix d’une relativisation de la portée même du principe inversement défini.

La complexité est encore accrue par le fait que les exceptions sont de plusieurs ordres et prévues par des textes distincts.

A cet effet, il importe de distinguer les exceptions définies par la loi et applicables à toutes les administrations, des exceptions définies par décrets propres à chaque personne publique.

I.1- Les exceptions légales à l’application de ce principe

Dès l’origine, le législateur a entendu écarter l’application de la règle « silence vaut accord » à un certains nombres de situations expressément visées par les termes de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Ces exceptions sont dès lors pleinement applicables aux collectivités territoriales et autres administrations locales.

Ces hypothèses pour lesquelles le silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois vaut toujours décision de rejet sont caractérisées dans les cas suivants :

– lorsque la demande du citoyen ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;

– lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;

– lorsque la demande présente un caractère financier ;

– dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.
La loi renvoie en outre à des décrets la définition des dérogations qui s’imposent, d’une part, en vertu des engagements internationaux et européens de la France, de la sécurité nationale, et de la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et d’autre part, pour des motifs de bonne administration.

I.2 – Les exceptions réglementaires à l’application de ce principe

Lors de l’entrée en vigueur du principe « silence vaut accord » pour les administrations d’Etat, il a été recensé pas moins de 42 décrets publiés le 1er novembre 2014 définissant autant de régimes dérogatoires à son application.

L’un d’entre eux trouve également à s’appliquer aujourd’hui aux collectivités locales et autres administrations locales.

Il s’agit du décret n° 2014-1264 du 23 octobre 2014 qui définit les cas de dérogations au principe « silence vaut accord » s’agissant des demandes d’accès aux documents et informations détenus par l’administration et de réutilisation de ces données, dérogations liées notamment à des raisons de défense et de sécurité intérieure.

Pour les administrations locales, la liste des décrets dérogatoires est cependant beaucoup moins longue que ne l’est celle des administrations d’Etat.

Plus précisément, on recense aujourd’hui quatre décrets définissant les exceptions applicables aux administrations locales :

– Le décret n° 2015-1155 du 17 septembre 2015 qui intègre à la liste des exceptions au principe silence vaut accord les demandes présentées par les ayants droit ou ayants cause d’agents publics territoriaux ainsi que les demandes s’inscrivant dans des procédures d’accès à un emploi public territorial ;

– Le décret n° 2015-1459 du 10 novembre 2015 qui prévoit 71 procédures d’exclusion au principe silence vaut accord fondées sur « le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle, et la sauvegarde de l’ordre public » ;

– Le décret n° 2015-1460 du 10 novembre 2015 qui définit 40 procédures pour lesquelles le silence vaut rejet pour « des motifs tenant à l’objet de la décision ou de bonne administration » ;

– Le décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015 qui recense 23 procédures administratives pour lesquelles le délai à l’issue duquel le silence de l’administration vaut acceptation est différent du délai de droit commun de deux mois.

Il parait donc malaisé et fastidieux, du fait de ces régimes dérogatoires épars et nombreux, de déterminer l’applicabilité de ces nouvelles règles comme il se fait habituellement – soit en considérant que le principe s’applique après vérification de ce que le cas d’espèce ne figure pas parmi ses exceptions.

Aussi, nous ne pouvons que conseiller aux administrations locales de considérer que le principe silence vaut accord n’est en réalité applicable que dans les cas listés comme tel par le gouvernement (listes publiées sur Légifrance).

Il sera ainsi constaté que cette règle s’appliquera pour les collectivités territoriales pour 275 procédures contre 113 procédures de dérogations, soit dans deux tiers des cas (alors que cette proportion n’était que d’un seul tiers pour les administrations d’Etat).

D’aucuns ont d’ailleurs déjà déploré que certaines procédures n’aient pas été inscrites dans les procédures dérogatoires.

En tout état de cause, la publication extrêmement tardive de ces décrets a suscité de vives inquiétudes au sein des collectivités et administrations locales.

Comment anticiper l’application d’une réforme sans en connaître les procédures concernées, se sont interrogées de nombreuses collectivités dans l’attente de la publication des trois décrets du 10 novembre 2015.

D’autant qu’au-delà des inquiétudes portées sur le périmètre d’application de cette règle, celle-ci est intrinsèquement vectrice ne plusieurs risques juridiques.

II – Un principe porteur de plusieurs difficultés d’application

Une analyse superficielle de l’entrée en vigueur de la réforme pour les administrations locales permet immédiatement d’identifier plusieurs inconnues dans l’application de cette réforme.

L’une des premières interrogations tient naturellement à la possibilité des collectivités territoriales d’adapter rapidement leurs pratiques et, par suite, de réorganiser la gestion des demandes.

Se pose alors de façon tout à fait pragmatique la question de la suffisance des moyens matériels des collectivités territoriales, a fortiori dans un contexte de réforme territoriale qui suscite d’ores et déjà de nombreuses incertitudes et des restrictions budgétaires.
Se pose surtout la question de la meilleure stratégie à adopter lorsque les échéances approcheront et que les collectivités seront forcées d’admettre ne pas être en mesure de les examiner attentivement.

Devra-t-on privilégier une réponse favorable à ces demandes en se réservant la possibilité de retirer les autorisations créatrices de droit dans les deux mois suivant leur édiction, ou opposer au contraire des refus systématiques au risque de s’exposer à de nombreux recours gracieux et contentieux.

A notre sens, cette question ne pourra appeler une réponse uniforme et devra être fonction des effets juridiques attachés à l’acceptation des demandes, à l’existence d’une procédure de recours administratif préalable obligatoire, à la complexité de la demande.
Aussi, l’enjeu actuel des collectivités territoriales est immanquablement celui de la définition des critères et d’une procédure de tri des demandes, adaptées à ces nouvelles dispositions.

Il n’en reste pas moins que les risques contentieux paraissent fortement accrus et qu’on peine à voir la simplification pour des administrés qui, de toute évidence, auront bien du mal à identifier le régime réellement applicable à leurs demandes.

Nul doute que certains croiront d’ailleurs un peu vite avoir obtenu une décision positive …

Elise HUMBERT, avocat à la cour