le 18/12/2014

Le silence de l’administration vaut désormais accord … en principe

Depuis le 12 novembre 2014, le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur les demandes adressées aux administrations de l’Etat et aux établissements publics nationaux à caractère administratif vaut décision d’acception. En effet, l’article 1er de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, annoncée comme une véritable révolution juridique, a modifié l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, renversant ainsi le principe bien ancré du silence de l’administration valant décision implicite de rejet. Il faudra davantage patienter pour les collectivités territoriales, les établissements publics locaux, les organismes de sécurité sociale et les organismes chargés de la gestion d’un service public administratif qui seront également soumis à ce nouveau principe à compter du 12 novembre 2015.
L’entrée en vigueur de cette disposition de la loi du 12 novembre 2013 n’est pas passée inaperçue puisqu’elle a nécessité l’édiction de 42 décrets afin de permettre la mise en œuvre effective du principe du silence de l’administration valant accord et surtout de préciser les nombreux et complexes cas dérogatoires.
Devant cette inflation réglementaire, il est permis de s’interroger sur la réussite de cette loi dont la motivation affichée était de permettre l’accessibilité des règles régissant les relations entre les citoyens et l’administration, tout particulièrement en créant un corpus juridique solide et en évitant l’accumulation des interprétations jurisprudentielles.
 
I. Le principe ou l’exception
 
I.1- Le renversement du principe
 
Avant ce bouleversement législatif, il semble nécessaire de rappeler que l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 indiquait clairement que « le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet ».
En pratique, ce principe impliquait que, à compter de la réception de la demande, et dans un laps de temps de deux mois, l’autorité administrative fasse droit ou rejette par une décision explicite motivée les sollicitations des citoyens.
Toutefois, si au terme de ce délai de deux mois aucune réponse n’était apportée, naissait une décision implicite de rejet, qui pouvait alors être déférée par l’administré à la censure du Juge de l’excès de pouvoir dans un nouveau délai de deux mois.
A cet égard, il ne fait aucun doute que les Juges du fond ont largement contribué à préciser les modalités de computation des délais, le régime des réponses d’attentes émises par l’administration ou encore les formalités de saisine de l’autorité administrative.
Bien davantage, tout comme le principe désormais en vigueur, des exceptions étaient ponctuellement aménagées au principe du silence de l’administration valant décision de rejet.
La plus notable de ces exceptions se manifestait très certainement en droit de l’urbanisme puisque le silence gardé par l’autorité compétente était déjà synonyme de délivrance d’autorisation tacite.
De telles exceptions prévoyant elles-mêmes des dérogations ponctuelles, il a pu aisément être considéré que ce régime de rejet implicite devait être réformé devant la confusion engendrée.
C’est précisément dans ces conditions que la loi du 12 novembre 2013, adoptée par le Parlement en un temps extrêmement bref grâce à la mise en œuvre de la procédure accélérée, devait tendre à faciliter les relations entre l’administration et ses administrés en démêlant la superposition de la règle générale, de ses exceptions et des exceptions de ses exceptions.
S’il paraît difficile d’assurer que ce texte a eu l’effet escompté, il contribue néanmoins à améliorer la visibilité et l’accessibilité de la règle générale en prévoyant la publication d’une liste des procédures pour lesquelles le silence gardé vaut décision d’acceptation, constituant un guide pour le citoyen et précisant l’autorité à laquelle doit être adressée la demande, le délai au terme duquel l’acceptation est acquise, ainsi que la référence textuelle de la procédure.
A tout le moins, il semble que la publication d’une telle liste est par là même essentielle à la bonne compréhension de la loi du 12 novembre 2013 qui impose de nombreuses dérogations à la nouvelle règle.
 
I.2- Et ses trop nombreuses exceptions
 
La loi habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens prévoit cinq types d’exceptions pour lesquelles le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet.
Si le maintien du principe, silence de l’administration vaut décision de rejet, dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents ainsi que la possibilité d’édicter des décrets dérogatoires dans l’hypothèse où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public apparaissent comme des dérogations explicites et compréhensibles, il en va différemment des trois autres exceptions édictées.
En effet, le silence de l’administration vaut également rejet lorsque la demande du citoyen ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle, la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou règlementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif, ou encore si la demande présente un caractère financier.
Au surplus, les 42 décrets publiés le 1er novembre 2014 s’inscrivent dans le cadre d’un deuxième régime dérogatoire énoncé par le législateur qui renvoie au pouvoir règlementaire le soin de fixer les modalités d’exceptions.
Ce régime dérogatoire complémentaire prévoit la possibilité d’écarter la nouvelle règle, ponctuellement, dans le cadre de décrets en Conseil d’Etat et en conseil des ministres, compte tenu de l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration.
A cet égard, il est flagrant que le pouvoir réglementaire dispose d’une marge de manœuvre considérable pour décider, en se fondant sur des considérations de pure opportunité, que la règle du silence de l’autorité administration valant accord doit être écartée.
Enfin, comme si le volume de procédures dérogatoires comparées aux procédures mettant en œuvre la règle générale ne suffisait pas à faire douter de l’efficacité d’une telle réforme, le pouvoir règlementaire a la possibilité de prévoir des délais d’instruction différents si l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie. Il s’agit encore une fois de ménager une certaine souplesse au profit de l’autorité administrative pour recourir à l’exception.
Alors même que l’une des motivations principales du gouvernement était de mettre un terme à l’éparpillement des textes régissant les relations entre l’administration et les citoyens, il ne peut sérieusement être contesté que la combinaison de la nouvelle règle et des exceptions nombreuses, de différente nature, entraîne une plus grande confusion sans véritablement faciliter le dialogue.
A cet égard, il suffit d’indiquer que, sur les 3.600 procédures recensées, environ 1.200 sont éligibles à la nouvelle règle, soit environ 2.400 procédures qui seront soumises aux cas dérogatoires, sans compter les divergences de délais d’instruction.
Dès lors, peut-on véritablement considérer que le principe du silence de l’administration valant décision de rejet a été renversé ?
 
II. Un échec de simplification ?
 
II.1- Une application complexe
 
Force est de constater que le principe général du silence de l’administration gardé pendant un délai de deux mois valant décision d’acceptation se réduit à peau de chagrin, puisque, au-delà même des nombreuses exceptions posées, le délai de deux mois n’est que rarement maintenu.
A cet égard, il suffit de reprendre la liste des procédures pour lesquelles l’exception au principe du silence gardé vaut décision d’acceptation, publiée le 1er novembre 2014, comptant plus de 113 pages, pour constater que les délais d’instruction sont très hétérogènes et que le délai de deux mois n’est que très rarement conservé.
Bien davantage, il ne fait aucun doute que la loi du 12 novembre 2013 a engendré un enchevêtrement d’innombrables textes, notamment avec l’édiction de 42 décrets d’application prévoyant chacun diverses exceptions ou modifiant le délai d’instruction, ministère par ministère.
Pour appuyer ce propos, il apparaît nécessaire de donner quelques exemples des multiples délais d’instruction qui peuvent s’appliquer pour des procédures proches ou encore des risques de confusion dont pourraient être victimes les citoyens en tentant d’appliquer la nouvelle règle et ses exceptions.
En matière d’urbanisme, concernant les autorisations de construire, la règle générale veut que la décision naisse en l’absence de décision expresse dans un délai de deux mois. Toutefois, ce délai est d’un mois s’agissant d’une demande de certificat d’urbanisme prévu au a) de l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme, délivré au nom de l’Etat, alors que s’agissant d’une demande de certificat d’urbanisme prévu au b) dudit article, le silence de l’administration gardé pendant un délai de deux mois vaut décision de rejet.
Par ailleurs, concernant les dérogations prévues par le Ministère de la décentralisation et de la fonction publique, il est permis de préciser qu’aucune procédure n’est visée directement mais qu’une exception générale s’ajoute encore à la confusion ambiante. En effet, lorsque la demande est adressée par une personne en qualité d’ayant droit ou ayant cause d’un agent ou si elle s’inscrit dans une procédure d’accès à un emploi relevant de l’Etat ou de l’un de ses établissements publics administratifs, le silence de l’administration vaut décision de rejet.
Enfin, deux procédures relatives au même domaine peuvent voir s’appliquer la règle et son exception. Ainsi, dans un délai de deux mois, dans le silence de l’administration, la demande d’autorisation de déplacement d’un poste fixe de chasse de nuit au gibier d’eau est rejetée alors que l’autorisation d’introduction dans le milieu naturel de grand gibier est accordée. Faudrait-il encore se féliciter que les délais d’instruction soient identiques ?
Au-delà même des dispositions écrites fixant, tant bien que mal, les modalités d’application de la nouvelle règle et les cas dérogatoires, il est nécessaire de relever que certaines exceptions ne relèvent pas de l’intervention d’un décret mais du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative saisie.
En effet, alors même que le législateur semble fixer trois hypothèses objectives dans lesquelles la règle du silence de l’administration vaut décision d’acceptation doit être écartée, il convient de relever qu’une large marge de manœuvre est octroyée à l’autorité administrative pour apprécier le caractère « financier », « d’un recours administratif ou d’une réclamation », « d’une décision individuelle » d’une demande.
Ainsi, l’interprétation de ces cas dérogatoires donnera sans doute lieu à une jurisprudence abondante dès lors que l’autorité administrative pourrait décider d’écarter le principe du silence vaut accord au regard des faits de l’espèce et au détriment du citoyen.
 
II.2- Des conséquences préoccupantes
 
Au-delà des difficultés pratiques qui peuvent être engendrées par la mise en œuvre du renversement d’une règle, la sécurité juridique des décisions accordées est susceptible d’être concernée.
En effet, désormais c’est le silence de l’administration qui sera créateur de droits. Ainsi, si le fait que l’administration ne puisse plus en principe, par son silence, bloquer les demandes et les projets privés semble ainsi, au premier abord, constituer une réforme positive, il n’en est rien.
Force est de constater que la règle du silence de l’administration vaut décision de rejet, en dehors de certaines exceptions, était emprunte de pragmatisme compte tenu de la nature et du volume des demandes adressées par les citoyens à des autorités administratives souvent incapables d’instruire l’ensemble de celles-ci.
Pourtant, la nouvelle règle est susceptible d’engendrer la délivrance d’autorisations dont les demandes auront été succinctement, dans le meilleur des cas, examinées par les autorités administratives qui, laissant courir le délai de deux mois, créeront des droits au profit des citoyens.
En conséquence, il est à craindre que l’administration procède systématiquement au retrait de l’autorisation délivrée tacitement compte tenu de son illégalité et que le contentieux des décisions de retrait de ces acceptations tacites prolifère.
Il est encore davantage à craindre le maintien dans l’ordonnancement juridique d’actes individuels créateurs de droits illégaux. En effet, l’article 23 de la loi du 12 avril 2000, non modifié par la loi du 12 novembre 2013, précise que les décisions implicites d’acceptation illégales peuvent être retirées par l’autorité administrative dans trois hypothèses strictement définies :
pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d’information des tiers ont été mises en œuvre ;
pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsqu’aucune mesure d’information des tiers n’a été mise en œuvre ;
pendant la durée de l’instance au cas où un recours contentieux a été formé.
Au regard de ces conditions strictes de retrait, il y a fort à parier que de nombreuses décisions implicites d’acceptation illégales adoptées, à défaut de diligences suffisantes de l’autorité administrative, subsisteront dans l’ordonnancement juridique.
De plus, il apparaît que les services administratifs de l’Etat et de ses établissements publics à caractère administratif devront être d’autant plus vigilants dans l’instruction des demandes et la délivrance d’une décision d’acceptation qu’il existe un risque non négligeable d’engagement de leur responsabilité pour avoir, par leur silence, approuvé des projets hautement irréguliers.
Par ailleurs, compte tenu de l’inintelligibilité de la loi du 12 novembre 2013, il peut être considéré que l’accès au prétoire sera considérablement réduit à tous citoyens qui auront sans doute une vision étroite des voies et des délais de recours qui leurs sont ouverts, compte tenu de la multiplicité des exceptions et de la disparité des délais d’instruction.
Ainsi, doit-on véritablement parler d’une simplification des relations entre les administrés et l’administration alors même qu’une analyse superficielle des dispositions introduites par la loi du 12 novembre 2013 et de ses décrets d’applications suffit à constater que cette nouvelle règle tend en réalité à opacifier encore davantage le mécanisme décisionnel au sein des administrations. L’administration semble y avoir trouvé son compte, pas l’administré.
 
Alexandra ADERNO, Avocat à la cour