Contrats publics
le 30/08/2022

Le Conseil d’Etat réaffirme le caractère obligatoire d’un règlement de consultation dans toutes ses mentions

CE, 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle, n° 454341

CE, 20 juillet 2022, Commune du Lavandou, n° 458427

A l’occasion d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique, une offre doit-elle être considérée comme incomplète et, par voie de conséquence, rejetée comme irrégulière, au seul motif qu’elle méconnaitrait l’une des mentions du règlement de la consultation ?

A cette question, la jurisprudence répond de longue date par l’affirmative en matière de référé précontractuel, tout en prévoyant néanmoins une tolérance lorsque l’exigence méconnue se révèle manifestement inutile pour l’examen des candidatures ou des offres, ainsi qu’a jugé en 2019 le Conseil d’Etat dans un considérant de principe rédigé dans les termes suivants :

« […] le règlement de la consultation prévu par une autorité concédante pour la passation d’un contrat de concession est obligatoire dans toutes ses mentions. L’autorité concédante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres » (CE, 22 mai 2019, Société Corsica Ferries, req. n° 426763).

Par deux décisions récentes, le Conseil d’Etat vient compléter et préciser l’application de ce principe, dans le cadre de recours au fond introduits par des candidats évincés.

La conséquence d’un vice substantiel tenant au fait que le contrat a été attribué à une entreprise dont l’offre était irrégulière en raison d’une lettre de candidature incomplète et non signée : la résiliation du contrat

La première décision a été rendue le 28 mars 2022 à l’occasion d’un litige portant sur un traité de sous-concession du service public balnéaire conclu par la Commune de Ramatuelle en application d’une concession de plage accordée par le Préfet du Var. Ce traité de sous-concession a été résilié par le Tribunal administratif de Toulon en date du 19 octobre 2018 et même si son jugement a été annulé par la Cour administrative d’appel de Marseille, celle-ci a confirmé la résiliation du contrat par un arrêt du 28 juin 2021, au motif que l’offre retenue était irrégulière du fait que la lettre de candidature suivant le formulaire DC1 n’avait été que partiellement renseignée et n’était pas signée, alors que le règlement de consultation exigeait des candidats la production d’un imprimé DC1 dûment complété et signé.

Saisi par la Commune et la société attributaire de pourvois contre cet arrêt, le Conseil d’Etat commence par en prononcer l’annulation, au motif que le juge d’appel avait prononcé la résiliation du contrat sans vérifier si, dans les circonstances de l’espèce, le vice résultant de l’irrégularité de la candidature permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, la poursuite de l’exécution du contrat.

Puis, statuant au fond, il confirme tout d’abord que le candidat évincé justifie d’un intérêt lésé en rapport avec le moyen tiré de ce que la candidature de la société attributaire aurait dû être écartée, dans la mesure où il n’a pas été invité à participer à la négociation après que son offre a été classée en quatrième position.

Ensuite, il considère que la stipulation du règlement de consultation exigeant un DC1 complété et signé n’était pas manifestement inutile et qu’en remettant un DC1 incomplet et non signé, l’attributaire avait remis une offre incomplète qui aurait donc dû être écartée, quand bien même d’autres documents eussent comporté les informations requises.

Enfin, même si le vice consistant à l’incomplétude de l’offre retenue ne s’oppose pas nécessairement à la poursuite de l’exécution du contrat (en ce sens, CE, 21 octobre 2016, Commune de Chaumont, req. n° 416616 ; CE, 28 juin 2019, Société Plastic Omnium systèmes urbains, req. n° 420776), le Conseil d’Etat constate qu’en l’espèce, l’essentiel du DC1 n’était pas rempli, y compris l’attestation sur l’honneur de ne pas se trouver dans un cas d’exclusion, et qu’aucun autre document du dossier de candidature n’attestait que l’attributaire ne se trouvait pas dans un cas d’exclusion. Il en résulte un manquement d’une portée telle qu’il fait obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat.

Le Conseil d’Etat prononce donc, dans cette affaire, la résiliation du contrat, et ce à effet immédiat après avoir vérifié que les conséquences de sa décision ne portaient pas, en l’espèce, une atteinte excessive à l’intérêt général.

Pour autant, il ne faudrait pas en déduire que le Conseil d’Etat retient, par cette décision, une approche systématique consistant à ériger toute méconnaissance d’une mention d’un règlement de consultation en motif de résiliation.

Au contraire, il ressort des conclusions de la Rapporteure publique Mireille Le Corre que le Conseil d’Etat retient une approche mesurée consistant à ne prononcer la résiliation du contrat qu’en cas de vice substantiel, c’est-à-dire portant atteinte à l’égalité de traitement des candidats, ce qui est caractérisé lorsque l’offre ne respecte pas une prescription technique importante du règlement de la consultation ou lorsque l’incomplétude d’une offre ne permet pas d’apprécier également les capacités du candidat.

Un acheteur ne peut attribuer un contrat à un candidat ne respectant pas l’une des exigences imposées par le règlement de consultation, sauf s’il s’agit d’une erreur purement matérielle

Par sa décision en date du 20 juillet 2022, le Conseil d’Etat a complété sa jurisprudence relative au caractère obligatoire du règlement de la consultation, en ajoutant une seconde exception au principe selon lequel une candidature ou une offre méconnaissant l’une des mentions de ce règlement doit être considérée comme irrégulière, en sus la première exception qui est déjà reconnue lorsque la non-conformité tient à la méconnaissance d’une mention manifestement dépourvue d’utilité pour l’analyse de la candidature ou de l’offre.

Ainsi, le Conseil d’Etat a précisé que l’acheteur ne peut attribuer le contrat à un candidat qui ne respecte pas l’une des exigences imposées par le règlement de la consultation, sauf « si la méconnaissance de cette exigence résulte d’une erreur purement matérielle d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue ».

Ce complément a été effectué à l’occasion d’un litige portant, là encore, sur un traité de sous-concession du service public balnéaire, conclu par la Commune du Lavandou en application d’une concession de plage accordée par le Préfet du Var. Toutefois, le recours était introduit cette fois-ci par le candidat évincé dont l’offre avait été écartée comme incomplète et tendait à contester la régularité du traité non par voie d’action, mais par voie d’exception, à l’appui d’une demande indemnitaire tendant à réparer le préjudice qu’il aurait subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation.

Par un jugement du 26 octobre 2018, le Tribunal administratif de Toulon a fait droit à cette demande indemnitaire, considérant que la Commune avait indûment écarté l’offre comme incomplète. Puis, saisi d’un appel par la Commune, la Cour administrative d’appel a, par un arrêt du 13 septembre 2021, confirmé cette analyse, en relevant que, si le projet de sous-traité soumis à la Commune par le requérant ne comportait pas le nom du candidat ni le montant de la redevance proposée, comme exigé par le règlement de la consultation, l’identité du candidat ressortait de la lettre de présentation de la candidature, tandis que le montant de la redevance était énoncé dans une fiche distincte ; par suite, la Cour a décidé avant-dire droit une expertise avec mission pour l’expert de déterminer le montant du préjudice correspondant au bénéfice manqué.

Saisi par la Commune d’un pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’Etat commence par l’annuler, au motif que la Cour avait jugé que les omissions précitées ne rendaient pas la candidature irrégulière au motif que les informations manquantes pouvaient être déduites d’autres pièces produites par le candidat, sans rechercher si ces exigences étaient manifestement dépourvues de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres ou si leur méconnaissance résultait d’une erreur purement matérielle.

Ensuite, statuant au fond, le Conseil d’Etat considère que l’obligation pour les candidats de compléter le projet de contrat en indiquant leur nom et des informations permettant de les identifier étaient nécessaires à l’acheteur pour s’assurer de l’identité de la personne avec laquelle elle contracterait, et ne pouvaient, dès lors, être regardées comme ayant été manifestement inutiles. En outre, le Conseil d’Etat considère qu’il ne s’agit pas là d’une erreur purement matérielle, dans la mesure où aucune des informations relatives à l’identité du titulaire de la concession n’avait été renseignée dans le projet de contrat. Enfin, il précise que le requérant ne peut se prévaloir du fait que la Commune ne l’a pas incité à régulariser son offre, dès que celle-ci n’y était pas tenue.

Par suite, le Conseil d’Etat conclut à l’absence de droit à indemnisation au profit du requérant.