Urbanisme, aménagement et foncier
le 09/02/2023

Le Conseil d’Etat ouvre la possibilité de prendre plusieurs arrêtés de cessibilité successifs pour un même projet déclaré d’utilité publique, nonobstant la circonstance qu’ils puissent toucher le même propriétaire

CE, 25 janvier 2023, n° 458930

Par cette décision très brève – 3 considérants -, le Conseil d’Etat a statué sur une question inédite tenant à la régularité d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Pour rappel, en substance, lorsqu’un projet est déclaré d’utilité publique par le préfet, celui-ci doit ensuite déclarer cessibles les parcelles devant être expropriées, puisque nécessaires au projet déclaré d’utilité publique.

Concrètement, l’arrêté de cessibilité intervient à la suite d’une saisine du préfet par un dossier d’enquête parcellaire, lequel est établi conformément à l’article R. 131-3 du Code de l’expropriation. Plus précisément, selon cet article, ce dossier doit comprendre un plan parcellaire et la liste des propriétaires des parcelles concernées.

D’une part, le plan parcellaire doit permettre aux intéressés de disposer d’informations précises sur l’identification et la consistance des différentes parcelles à exproprier. D’autre part, la liste des propriétaires des parcelles concernées par l’expropriation doit résulter de recherches fouillées et concrètes de la part de l’autorité expropriante.

Cette phase administrative doit se conclure par un arrêté de cessibilité du préfet, conformément à l’article L. 132-1 du Code de l’expropriation, lequel dispose que :

« L’autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l’expropriation est nécessaire à la réalisation de l’opération d’utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d’utilité publique ».

Par la décision en date du 25 janvier 2023, le Conseil d’Etat a donné son interprétation de l’article L. 132-1 du Code de l’expropriation.

En effet, l’un des moyens du pourvoi soulevé ici contestait une position de principe des juges du fond sur l’article L. 132-1 précité, position retenue par la Cour administrative d’appel dans cette affaire comme suit :

« Eu égard à la garantie attachée au droit de propriété et à la nécessité de prémunir un propriétaire contre une transmission tardive du dossier au juge de l’expropriation au regard des dispositions de l’article R. 221-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les dispositions précitées doivent s’entendre comme imposant à l’autorité administrative de faire figurer dans un même arrêté de cessibilité l’ensemble des parcelles appartenant à un même propriétaire, dont l’expropriation est poursuivie ».

Selon les juges du fond, il n’est pas possible de prendre plusieurs arrêtés de cessibilité successifs pour des parcelles appartenant à un même propriétaire. Si l’on suit le raisonnement des juges du fond, il aurait donc fallu recommencer depuis le début l’enquête parcellaire, agrémentée des nouvelles parcelles devant être expropriées, lesquelles se sont révélées nécessaires en cours d’établissement du projet déclaré d’utilité publique.

Cette interprétation ne ressort pourtant pas de la lettre du texte.

Cette position était, semble-t-il, notamment justifiée par le fait que l’atteinte au droit de propriété résultant de la procédure d’expropriation, devait être contrebalancée par le fait que le propriétaire exproprié doit avoir connaissance rapidement, et de manière exhaustive, de ce qu’il l’attend dans le cadre de la procédure d’expropriation.

Dans notre espèce, plusieurs arrêtés de cessibilités sont intervenus, lesquels concernaient des parcelles distinctes mais appartenant à un même propriétaire.

La question qui se pose est donc de savoir s’il est possible de prendre plusieurs arrêtés de cessibilité successifs, de sorte que les nouvelles parcelles nécessaires feront l’objet d’une enquête parcellaire complémentaire distincte de l’enquête parcellaire initiale, sans qu’il ne soit besoin de reprendre une enquête parcellaire globale pour l’ensemble des parcelles nécessaires au projet déclaré d’utilité publique.

Par cette décision, le Conseil d’Etat considère qu’il est possible de procéder par plusieurs arrêtés successifs pour déclarer cessibles des parcelles nécessaires à la réalisation d’un même projet déclaré d’utilité publique.

Le Conseil d’Etat fait, à notre sens, ici preuve de pragmatisme car sa solution permet de faire évoluer le projet – sans ajouter trop de lourdeurs et donc de temps perdu à la mise en œuvre du projet d’utilité publique -, puisqu’il affirme que l’étendue des acquisitions nécessaires puisse se voir précisée à mesure de l’état d’avancement du projet par une enquête parcellaire complémentaire, et non par la reprise d’une enquête parcellaire globale.

Il doit, néanmoins, être souligné que le Conseil d’Etat n’offre cette possibilité que si l’expropriation des nouvelles parcelles « se révèle » nécessaire pour la réalisation de l’opération déclarée d’utilité publique. A contrario, si l’expropriant avaient connaissance de la nécessité d’acquérir les nouvelles parcelles, il pourrait se voir sanctionné de ne pas les avoir fait figurer dans le premier arrêté de cessibilité. Ici, la juridiction administrative semble attendre de l’autorité expropriante qu’elle fasse preuve de loyauté dans l’utilisation de cette faculté pour ménager les atteintes apportées au droit de propriété.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a jugé que :

« Ni cette disposition [l’article L. 132-1] ni aucune autre disposition législative ou règlementaire n’impose que l’ensemble des immeubles à exproprier pour la réalisation d’un projet déclaré d’utilité publique fasse l’objet d’un unique arrêté de cessibilité. Des arrêtés de cessibilité peuvent dès lors être pris successivement si l’expropriation de nouvelles parcelles se révèle nécessaire pour la réalisation de l’opération déclarée d’utilité publique. La circonstance que des parcelles faisant l’objet de ces arrêtés successifs appartiennent à un même propriétaire est à cet égard sans incidence ».