Vie des acteurs publics
le 23/01/2025

Le Conseil d’Etat juge que les organismes de réflexion dits « think tanks » ne sont pas, par principe, des représentants d’intérêts

CE, 14 octobre 2024, nos 472123, 475251 et 487972

Définis à l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les représentants d’intérêts sont des personnes physiques ou morales qui ont pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication avec des décideurs publics.

Depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi « Sapin II »)[1], les représentants d’intérêts ont l’obligation de s’inscrire sur un répertoire public tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ils doivent, à ce titre, fournir un certain nombre d’informations relatives à leur identité, au champ de leurs activités de représentation d’intérêts et aux moyens qui y sont consacrés ainsi qu’aux actions de représentation d’intérêts qu’ils mènent auprès des personnes publiques[2].

A partir de 2020, la HATVP avait engagé des échanges avec plusieurs organismes de réflexion et de recherche (souvent dénommés « think tanks »), dont l’institut Montaigne, afin de déterminer s’ils constituaient des représentants d’intérêts au sens des dispositions précitées de la loi du 11 octobre 2013.

A la fin de ses travaux, la HATVP a adopté de nouvelles « lignes directrices » relatives au répertoire des représentants d’intérêts, publiées sur son site internet le 3 juillet 2023[3].

Ces lignes directrices énonçaient, en particulier, que « sont susceptibles d’être qualifiés de représentants d’intérêts, en application de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 : […] toute autre structure ayant la personnalité morale, tels que des organismes de recherche ou des groupes de réflexion (think tanks, etc.) ».

En d’autres termes, en application de ces lignes directrices, les think tanks devaient alors être regardés comme soumis, par principe, aux obligations, notamment déclaratives, prévues par la loi du 11 octobre 2013 précitée.

C’est dans ces conditions que l’Institut Montaigne a saisi le Conseil d’Etat afin de demander l’annulation pour excès de pouvoir de ces lignes directrices[4], en tant qu’elles prévoyaient que les groupes de réflexion, dont il fait partie, peuvent être qualifiés de représentants d’intérêts au sens de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.

Saisi de ces lignes directrices, le Conseil d’Etat a alors relevé que, contrairement à la définition qu’elles en donnent, un organisme tel qu’un think tanks, qui se consacre à une activité de réflexion, de recherche et d’expertise sur des sujets déterminés en vue de produire des travaux destinés à être rendus publics, ne saurait, à ce seul titre, être regardé comme un représentant d’intérêts, alors même qu’il entrerait régulièrement en contact avec des décideurs publics pour réaliser ses études ou travaux, faire part de ses conclusions ou promouvoir des propositions de réforme des politiques publiques qui pourraient en découler.

Il a ainsi jugé qu’une telle activité ne pouvait, par elle-même, être regardée comme poursuivant un intérêt au sens de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.

Le Conseil d’Etat a en revanche précisé qu’un tel organisme pouvait être qualifié de représentant d’intérêts si, au regard de son financement, de sa gouvernance et des conditions dans lesquelles sont menés ses études et travaux, il poursuit la défense d’un intérêt au sens des dispositions de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 et dès lors qu’il remplit, par ailleurs, la condition tenant à l’exercice d’une activité principale ou régulière d’influence sur la décision publique.

Or, les lignes directrices de la HATVP, en ce qu’elles conduisaient « à qualifier de représentants d’intérêts les organismes de réflexion à la seule condition qu’ils exercent, à titre principal ou de façon régulière, des actions d’entrées en communication avec un responsable public », méconnaissaient le sens et la portée des dispositions de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 précitées.

Le Conseil d’Etat les a dès lors annulées en tant qu’elles prévoyaient que les groupes de réflexion peuvent être qualifiés de représentants d’intérêts au sens de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.

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[1] Article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, inséré à l’article 18-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013.

[2] Article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, inséré à l’article 18-3 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013.

[3] Ces lignes directrices sont disponibles sur le site internet de la HATVP, via le lien suivant.

[4] L’Institut Montaigne demandait également, par deux autres requêtes (nos 472123 et 475251), l’annulation de courriers par lesquels la HATVP lui demandait de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts ou, à défaut, de faire état de ses entrées en communication avec des responsables publics français, ainsi que d’une notification de manquements qui lui avait été adressée par la Haute autorité. Ces requêtes ont toutefois été rejetées en raison du caractère préparatoire des actes contre lesquels elles étaient dirigées.