Mobilité et transports
le 11/01/2024

Le Conseil d’État enjoint à l’Autorité de régulation des transports de procéder à l’examen de manquements qui auraient été commis par la société Aéroport Toulouse-Blagnac

CE, 21 décembre 2023, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, n° 475334

Par une lettre en date du 31 janvier 2023, le syndicat des compagnies aériennes autonomes (ci-après le « SCARA ») et la chambre syndicale du transport aérien (ci-après la « CSTA ») ont saisi conjointement l’Autorité de régulation des transports, sur le fondement de l’article L. 1264-1 du Code des transports, d’une demande tendant à la recherche et à la constatation de manquements qui auraient été commis par la société Aéroport Toulouse-Blagnac (ci-après « ATB ») lorsqu’elle a institué une redevance par bagage.

Les plaignantes invoquaient deux manquements :

  • D’une part, ATB aurait intégré, de manière illégale au regard notamment des dispositions de l’article L. 6325-1 du Code des transports, une prestation concurrentielle d’assistance en escale, consistant en un service de réconciliation des bagages, dans le périmètre de la redevance par bagage ;
  • D’autre part, le tarif de la redevance par bagage ne serait pas conforme aux principes généraux applicables en matière de tarification des redevances pour services rendus dès lors que les compagnies aériennes seraient exonérées du coût de mise à disposition des installations de traitement des bagages.

Le SCARA et la CSTA estiment que cette mise à disposition devrait être payée par les compagnies pour chaque touchée d’avion et qu’en exonérant les compagnies de tout paiement de ce service si leurs passagers n’ont pas de bagages de soute, la tarification d’ATB n’aurait pas été établie sur la base de critères objectifs et rationnels et ne serait pas conforme aux principes de non-discrimination et d’orientation vers les coûts.

Par une décision en date du 20 avril 2023, l’Autorité a rejeté la demande présentée en raison de son incompétence à connaître de ladite demande. L’Autorité soutenait tout d’abord que l’exigence d’impartialité qui s’imposait à elle s’opposait à ce qu’elle puisse procéder à la recherche et à la constatation d’un manquement portant sur les tarifs de redevances aéroportuaires qu’elle avait elle-même homologués au titre de l’article L. 6327-2 du Code des transports. L’Autorité estimait ensuite que la contestation d’une redevance plusieurs années après son homologation était de nature à porter atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime inhérents à la régulation économique sectorielle. Saisi d’un recours à l’encontre de cette décision, le Conseil d’État a infirmé le raisonnement et la décision de l’Autorité par un arrêt du 21 décembre 2023.

Dans sa décision, le Conseil d’État commence par rappeler le principe classique de la séparation fonctionnelle des instances de poursuite et de sanction au sein des autorités indépendantes en jugeant que « si le principe d’impartialité des juridictions, qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que rappelle le paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qui est applicable à l’Autorité de régulation des transports, autorité publique indépendante dotée d’un pouvoir de sanction, conduit à la séparation entre, d’une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements, ce principe ne peut être opposé à l’autorité assurant les fonctions de poursuite, qui n’est pas appelée à décider d’une éventuelle sanction ».

Le Conseil d’État énonce ensuite que si le principe d’impartialité « exige que l’autorité se prononçant sur l’opportunité des poursuites ne manifeste, dans son pouvoir d’appréciation, ni partialité, ni animosité personnelle », il ne fait pas obstacle à ce que l’Autorité procède à la recherche et à la constatation de manquements liés à une redevance qu’elle a homologuée.

De façon beaucoup plus laconique, le Conseil d’État juge ensuite que « les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne sauraient davantage faire obstacle à ce que l’Autorité de régulation des transports procède à la recherche et, le cas échéant, à la constatation de manquements liés à un tarif qu’elle a homologué ». Bien qu’il n’ait pas développé son raisonnement, on comprend aisément le raisonnement du Conseil d’État. Les autorités administratives indépendantes ont vocation à réguler un secteur d’activités et elles ont usuellement vocation, à ce titre, à homologuer certains tarifs et redevances. Elles ne sauraient donc soutenir que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime font obstacle à ce qu’elles apprécient la licéité de ces tarifs et redevances puisque ces derniers seraient alors à l’abri de toute contestation possible. Et, l’argument temporel invoqué par l’Autorité (seules les demandes d’examen survenant plusieurs années après l’homologation seraient irrecevables) n’est pas véritablement convaincant puisqu’à le supposer applicable, les nouveaux entrants ne pourraient pas contester des tarifs anciens.

Après avoir écarté les moyens invoqués par l’Autorité, le Conseil d’État annule ensuite sa et, sur le fondement du pouvoir d’injonction qu’il détient au titre de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, lui enjoint de procéder à l’examen de la demande formulée par les requérantes dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision.