Propriété intellectuelle
le 25/09/2025
Lucile MARTIN
Gabrielle LAMBERT

L’appréciation plus stricte du caractère distinctif des marques, désormais opérée par les offices de marques

Les rejets de dépôts de marques par les offices de marques français (l’INPI) et européen (l’EUIPO) pour défaut de caractère distinctif sont de plus en plus nombreux.

La réforme européenne du droit des marques, dont la transposition a été assurée par l’ordonnance du 13 novembre 2019 (entrée en vigueur le 1er avril 2020), est venue modifier la rédaction de l’article L. 711-2 du Code la propriété intellectuelle (CPI). Ce dernier prévoit désormais qu’une marque « dépourvue de caractère distinctif »[1] ne peut être valablement enregistrée ou est susceptible d’être déclarée nulle.

La validité d’une marque repose en effet sur la capacité du signe utilisé à identifier l’origine commerciale du produit ou du service qu’il désigne. Cette exigence est directement liée à l’objectif de préservation de la libre concurrence, en évitant qu’un acteur économique, qu’il s’agisse d’une personne privée ou publique, ne monopolise un terme nécessaire à la description ou à l’identification d’un secteur d’activité.

Cette problématique est fréquemment rencontrée par les personnes publiques, dont les dépôts peuvent porter sur des dénominations à faible distinctivité. Certains termes peuvent être considérés comme désignant une entité administrative, une fonction, ou encore une localisation géographique, et non comme des marques susceptibles d’identifier une origine commerciale.

Dans la pratique, l’INPI a pu toutefois admettre des marques à caractère institutionnel, dès lors que leur usage leur conférait une valeur identifiante. On peut ici relever notamment :

  • les marques françaises et européennes « LOUVRE » visant notamment les services d’activités culturelles et organisation d’exposition à buts culturels et éducatifs (en classe 41) déposées par l’établissement public du musée du Louvre, dont la notoriété dépasse la simple désignation d’un monument ;
  • La marque française « VERSAILLES » visant notamment les services de relations publiques (en classe 35) déposée par la commune de Versailles ;
  • La marque « UNIVERSITE DE LYON » visant notamment des services d’éducation (classe 41) déposée par l’EPSCP Université de Lyon ;

L’évolution récente montre toutefois un durcissement de l’interprétation du critère de distinctivité.

A ce titre, il est possible de relever la décision de la Cour d’appel de Paris[2] qui a confirmé, dans un arrêt rendu le 6 juin 2025, le rejet partiel du dépôt de la marque « FIER D’ETRE PARISIEN » par le directeur général de l’INPI, notamment pour défaut de caractère distinctif.

En effet, la Cour a considéré que le signe serait « appréhendé comme une formule promotionnelle proclamant un message d’amour pour la ville de Paris » et « ne sera pas perçu par le public pertinent comme un indicateur de l’origine commerciale des produits sur lesquels il est apposé car il ne lui permet pas d’emblée de rattacher ces produits à une entreprise déterminée ».

On peut également noter le refus récent de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)[3] d’enregistrer le signe « SAGRADA FAMILIA », à titre de marque européenne[4], au motif que ce signe est dépourvu de caractère distinctif, puisque la dénomination « SAGRADA FAMILIA » fait référence à un concept religieux ou commun (il désigne l’unité familiale dans la tradition catholique). S’agissant de produits ou services religieux, liturgiques, d’édition religieuse, ou encore de formation religieuse, l’expression est descriptive et renvoie à la finalité du produit.

Cette tendance jurisprudentielle fragilise de nombreux dépôts effectués par les personnes publiques, dont les signes sont souvent jugés trop descriptifs.

Dans certains cas, ces refus d’enregistrement sont susceptibles de remettre en cause la protection des signes contre des usages non autorisés, notamment lorsque ces signes déposés sont constitués des dénominations des déposants. Dans ce cas, il apparait essentiel de formuler, auprès des offices des marques, des observations circonstanciées soulignant l’importance de garantir la protection de ces termes, afin d’éviter qu’ils ne soient détournés ou exploités de manière abusive par des tiers.

A cet égard, une position plus « tolérante » en faveur des personnes ayant pour mission de porter une activité d’intérêt général pourrait s’entendre, d’autant plus que, les concernant, l’argument selon lequel les signes doivent rester librement utilisables pour préserver la liberté économique, apparaît paradoxal.

Plusieurs alternatives peuvent pallier ces difficultés d’enregistrement :

  • L’acquisition du caractère distinctif par l’usage[5]: il est possible de se défendre contre un rejet de dépôt en avançant que le signe a acquis un caractère distinctif du fait de son exploitation (sous réserve d’être en mesure de démontrer par des preuves multiples), un usage continu de plus de 5 ans et suffisamment étendu. C’est le cas pour la marque « PARIS », de la Ville de Paris[6], bien que « Paris » soit un terme géographique très connu ;

Le dépôt d’une marque semi-figurative constituée d’un signe accompagné d’un logo ou d’un graphisme distinctif, renforçant de ce fait la distinctivité. Par exemple, la marque territoriale semi-figurative n° 4898858 « OnlyLyon »[7] ou encore la marque semi-figurative n° 4665977 de la Région Île-de-France[8].

_____

[1] Article L. 711-2 (2°) du Code de la propriété intellectuelle

[2] CA Paris, pôle 5 ch. 2, 6 juin 2025, n° 24/02367

[3] EUIPO, décision de rejet n° 019137553 du 18 septembre 2025 – décision accessible sur le site de l’EUIPO https://euipo.europa.eu/eSearchCLW/#key/trademark/RFS_20250918_019137553_019137553

[4] Déposée par la Fondation JUNTA CONSTRUCTORA DEL TEMPLE EXPIATORI DE LA SAGRADA FAMILIA en classes 6, 9, 14, 16, 18, 21, 25, 28, 35, 36, 37, 39, 41, 42, 45.

[5] Le dernier de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « Dans les cas prévus aux 2°, 3° et 4°, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis à la suite de l’usage qui en a été fait »

[6] Tribunal de l’Union européenne, 16 janvier 2014, Affaire T-237/13 – Ville de Paris c. EUIPO

[7] https://data.inpi.fr/marques/FR4898858?q=FR4898858#FR4898858

[8] https://data.inpi.fr/marques/FR4665977?q=r%C3%A9gion%20ile%20de%20france#FR4665977