Santé, action sanitaire et sociale
le 13/04/2023
Esther DOULAIN
Doriane PILARD

L’aide sociale en EHPAD : la prise en compte des frais de gestion locative des biens immobiliers du résident dans la détermination du montant de l’aide sociale à l’hébergement versée par le département

CE, 1er mars 2023, n° 451981

L’appréciation des ressources d’une personne protégée en perte d’autonomie est cruciale pour déterminer son éligibilité à l’aide sociale lors de son entrée au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Depuis la réforme initiée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, la personne protégée a été replacée au cœur du dispositif de protection juridique des majeurs. Cette loi a en effet rappelé l’importance, s’agissant des majeurs protégés faisant l’objet d’une mesure de tutelle ou de curatelle, de recueillir leur volonté concernant les questions relatives à leur logement. Ainsi, les biens immobiliers du majeur protégé ne peuvent être mis à disposition ou vendus sans son accord.

L’entrée en EHPAD emporte des conséquences pour le majeur protégé locataire ou propriétaire. La résiliation de son bail ou la vente de son bien n’est pas systématique et doit se faire, le cas échant, dans son intérêt. Or, le fait d’être détenteur d’un patrimoine foncier peut s’avérer être un frein pour l’éligibilité des personnes en perte d’autonomie aux prestations sociales lors de leur entrée en EHPAD, les contraignant, parfois, à vendre leur patrimoine. Bien que la vente du patrimoine ne demeure pas un préalable à l’éligibilité de l’aide sociale à l’hébergement (ASH), garder son patrimoine peut entrainer des conséquences dans les modalités de calculs de la participation personnelle au prix d’hébergement et du « reste à vivre ».

C’est sur cette question que le Conseil d’Etat est venu, par une décision en date du 1er mars 2023, préciser les modalités d’évaluation des ressources d’une personne âgée bénéficiaire de l’ASH.

Dans cette affaire, une personne âgée placée sous tutelle et propriétaire de son logement avait été prise en charge au sein d’un EHPAD et demandait par ailleurs l’octroi de l’ASH pour financer ses frais d’hébergement. Etant propriétaire d’un logement, celui-ci fut confié par sa tutrice à une agence immobilière en contrepartie d’une rémunération de 7 % du montant des loyers encaissés. Le département, après avoir décidé de prendre en charge au titre de l’aide sociale, les frais d’hébergement de la résidente, a finalement, compte tenu de ces revenus mensuels supplémentaires liés à la location de son logement, revu à la hausse la contribution de la résidente au financement de ses frais d’hébergement. En ce sens, il a décidé que 90 % du montant du loyer – de 391 € mensuel – devrait être prélevé pour financer les frais d’hébergement, les 10 % restant de cette somme étant laissés à la résidente au titre de son « reste à vivre »[1]. La tutrice de la résidente a contesté le fait que les frais d’agence immobilière n’avaient pas été déduits de la contribution aux frais d’hébergement de la résidente. Le Tribunal administratif intervenant en première instance a annulé la décision du président du département en ce que ce dernier aurait dû déduire tant les frais d’agence que la taxe foncière du reste à charge de la résidente au titre de ses frais d’hébergement en EHPAD.

Par sa décision du 1er mars 2023, le Conseil d’Etat a confirmé sa jurisprudence antérieure[2] relative aux « dépenses exclusives de choix de gestion » des bénéficiaires de l’aide sociale, tout en apportant des précisions relatives à la question des frais de gestion pour le bien immobilier litigieux.

Ainsi, le Conseil d’Etat a rappelé que le département doit, d’abord, tenir compte du montant des ressources de la résidente et, ensuite, appliquer la contribution de la personne âgée de 90 % de ce montant en ayant déduit en amont « les dépenses qui sont mises à la charge de la personne âgée par la loi et qui sont exclusives de tout choix de gestion de sa part », et s’assurer, enfin, que le montant mensuel du reste à vivre du résident n’est pas inférieur au seuil fixé.

Dès lors, confirmant sur ce point le jugement du tribunal administratif, le Conseil d’Etat a considéré que le département se devait, dans l’appréciation des ressources de la résidente, prendre en compte le montant : « net des charges supportées par le propriétaire pour leur perception, à l’exception de celles qui contribuent directement à la conservation ou à l’augmentation du patrimoine ». En d’autres termes, le département se devait de déduire les frais d’agence immobilière des revenus nets de la résidente pour tenir compte des revenus effectivement perçus par celle-ci.

Toutefois, le Conseil d’Etat a censuré la décision du tribunal administratif en ce qu’il avait déduit le montant de la taxe foncière de la contribution que devait reverser la personne âgée au titre de ses frais d’hébergement en EHPAD alors que cela ne faisait pas partie des demandes de la tutrice.

A travers cette décision le Conseil d’Etat rappelle donc que les loyers d’une personne entrant en EHPAD et sollicitant l’ASH pour financer son tarif hébergement doivent être pris en compte dans l’appréciation du montant des ressources en déduisant toutefois les frais de gestion immobilières y afférant.

 

 

[1] En ce sens, le CASF prévoit aux articles L. 132-1-3 et R. 231-6 que les ressources des personnes âgées hébergées en établissement sont affectées au remboursement de leurs frais d’hébergement et d’entretien dans la limite de 90 %. Ces personnes devant pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources restantes et que la somme ainsi laissée à leur disposition ne peut être inférieure à un certain montant.

[2] En ce sens, Conseil d’Etat, 14 décembre 2007, n°286891. Par cette décision, le Conseil d’Etat a considéré que toutes les dépenses qui sont la conséquence de libres choix de gestion sont à la charge exclusive de la personne âgée, sur son argent de poche, distinguant ainsi ces dépenses exclusives de choix de gestion des dépenses obligatoires devant être déduites des ressources avant le calcul des 90 %.