Droit pénal et de la presse
le 20/04/2020
Matthieu HÉNON
Margaux PARISOT

La responsabilité pénale des établissements sociaux, des EPHAD et de leurs dirigeants dans la crise sanitaire

La crise sanitaire actuelle est inédite par son ampleur, son expansion et ses conséquences dramatiques, particulièrement sur les personnes les plus fragiles ; elle l’est aussi par la pénurie de moyens de protection et les mesures de confinement mises en œuvre pour combattre l’épidémie. Les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), et plus généralement les Etablissements et services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) doivent néanmoins fonctionner dans ce contexte, en assurant la sécurité de leurs agents et usagers.   

Il est bien évidemment légitime qu’ils s’interrogent sur les risques juridiques auxquels ils pourraient être exposés en cas de contamination, le cas échéant mortelle, d’un ou de plusieurs usagers, ou membres du personnel.  

Ce risque est notamment de nature pénale, au titre principalement des qualifications de blessures involontaires voire d’homicide involontaire – ou même de risque causé à autrui en l’absence de contamination si un risque grave et spécifique était avéré. 

Sur ce point, le risque est commun aux établissements publics et privés. 

Précisons d’emblée que le risque est en tous points similaire qu’il s’agisse d’une contamination potentiellement mortelle d’un usager ou d’un salarié : juridiquement en effet, les infractions seront les mêmes, la structure et l’imputabilité de la faute identiques, ainsi que les moyens de défense. 

La seule différence pourra éventuellement résider dans le contenu de la faute et des diligences requises de l’organisme, au regard de la spécificité de la relation employeur / préposé et des obligations de sécurité qui s’imposent à chaque partie dans ce cadre.  

Soulignons toutefois que la constitution de ces infractions est soumise à plusieurs conditions – une faute, un lien de causalité et l’absence de diligences normales – que le Juge doit apprécier, pour reprendre l’expression consacrée, in concreto, c’est-à-dire notamment au regard du contexte que nous connaissons. 

 

1 – La responsabilité pénale des EHPAD et de leurs représentants

Les problématiques pénales présentent un double enjeu : les infractions reprochées sont susceptibles d’engager aussi bien la responsabilité personnelle du dirigeant/salarié, que celle de la personne morale. 

En effet, la responsabilité de l’organisme, de ses dirigeants ou représentants – statutairement ou par l’effet d’une délégation de pouvoirs – peut par principe être retenue cumulativement, au titre d’une infraction commise au nom et pour le compte de la personne morale. 

Cette responsabilité pénale pourrait d’abord être recherchée sur le fondement des infractions dites d’atteintes involontaires à l’intégrité physique – blessures ou homicide involontaire. 

Toutefois, ces délits ne se consomment pas par la seule réalisation du dommage : ils nécessitent la commission d’une faute involontaire spécifique, qui revêt plusieurs degrés de gravité selon qu’elle sera reprochée à l’établissement – faute simple – ou à des personnes physiques : faute simple en cas de causalité directe et faute qualifiée en cas de causalité indirecte. 

S’agissant d’une contamination au Covid-19, l’hypothèse à privilégier est a priori celle d’une causalité indirecte, impliquant dès lors que puisse être imputée au dirigeant ou représentant : 

  • Soit la violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; 
  • Soit une faute caractérisée ayant exposé la victime à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré. 

La responsabilité pénale de l’organisme pouvant être retenue au titre d’une faute simple de son représentant, elle peut être plus aisément retenue que celle de ses dirigeants et représentants personnes physiques. Ce constat n’est bien évidemment pas sans incidence sur la question indemnitaire associée à des poursuites. 

Enfin et au-delà de ces infractions, le délit de risque causé à autrui pourrait être également envisagé en l’absence de dommage, sous réserve que la jurisprudence considère le risque de contamination au Covid-19 comme un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.  

Cette question n’est bien évidemment pas encore tranchée et il n’est nullement acquis – au regard de la jurisprudence rendue en la matière – qu’elle le soit par l’affirmative. 

  

2 – Les moyens de défense tirés des diligences normales

L’EHPAD et/ou son représentant qui verrait sa responsabilité pénale mise en cause au titre d’une infraction involontaire ne sera pas dépourvu de moyens de défense.  

Par principe, les délits de blessures et d’homicide involontaires doivent être écartés – tant pour la personne physique que pour la personne morale – dès lors qu’est rapportée la preuve que « des diligences normales » ont été mises en œuvre pour éviter le dommage. 

L’appréciation du caractère normal de ces diligences doit être faite au regard des missions, des compétences, des pouvoirs et des moyens dont disposait le mis en cause. 

Concrètement, la règle sera ici de faire la preuve de l’ensemble des dispositions prises pour éviter la réalisation du dommage, compte tenu des moyens à disposition. 

Le principe est posé mais, bien sûr, la question des modalités de son application aux mesures mises en œuvre dans le cas du Covid-19 n’est pas tranchée ; celle-ci devrait naturellement prendre en considération les nécessités de fonctionnement des EHPAD et ESSMS, le contexte de pénurie de moyens de protection et les données évolutives de la science s’agissant de l’infection. 

En tout état de cause, il est dès à présent essentiel de documenter, chaque fois que possible, les mesures mises en œuvre au sein des Etablissements – dispositifs de protection, mesures opérationnelles et organisationnelles, etc. – mais également les actions entreprises qui n’ont pas abouti dans le contexte de pénurie, afin de pouvoir en apporter la preuve en cas de poursuites. Il en va de même des échanges intervenus avec les organismes représentants du personnel dans le cadre du maintien de l’activité. 

Enfin, si l’ordonnance n° 2020-313 du 25 mars 2020 permet aux ESSMS d’adapter leurs conditions d’organisation et de fonctionnement au contexte sanitaire, le Gouvernement n’a pas manqué de préciser qu’il fallait néanmoins veiller à maintenir des « conditions de sécurité suffisantes » dans le contexte d’épidémie actuel. 

Ce texte impactera nécessairement l’appréciation d’une faute pénale si celle-ci devait être poursuivie ; pour autant, il n’efface pas tout risque contentieux. 

Il est donc recommandé à tous les ESSMS publics ou privés de se rapprocher de leur conseil pour se préparer à d’éventuelles mises en cause. Seban & Associés a mis en place une veille sur ce sujet auprès de ses clients. 

Par Matthieu Hénon et Margaux Parisot