Contrats publics
le 15/09/2022

La réception de l’ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage

CAA Douai, 22 août 2022, Société ID+ Ingénierie, n° 20DA01683

Dans le cadre du projet d’extension et de réhabilitation d’un gymnase et de création d’une salle polyvalente, la région Normandie (ci-après, la « Région ») a conclu un contrat de maîtrise d’œuvre avec un groupement d’opérateurs économiques pour assurer la conception de ces ouvrages. Des désordres sont survenus durant l’exécution des travaux et, faute pour les parties de s’entendre sur la personne responsable des désordres, la Région a préfinancé des travaux de reprise.

Postérieurement à la réalisation de ces travaux de reprise la Région a saisi le Juge des référés du Tribunal administratif de Rouen qui a fait droit à sa demande d’expertise par une ordonnance du 29 juillet 2014. Dans le prolongement du rapport d’expertise survenu en février 2018, la Région a saisi le Tribunal administratif de Rouen pour qu’il condamne le groupement d’opérateurs économiques à l’indemniser du montant des travaux de reprise à raison des fautes de conception et de surveillance du chantier que la Région estime que ce groupement a commis. Par un jugement du 28 août 2020, le Tribunal a fait droit à la demande de la Région et le mandataire du groupement d’opérateurs économiques a interjeté appel contre ce jugement.

Soulevant un moyen d’ordre public, la Cour administrative d’appel de Douai commence par rappeler qu’ « indépendamment de la décision du maître d’ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d’œuvre prévue par les stipulations susvisées du CCAG PI applicable au marché en litige, la réception de l’ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage ».

Le Conseil d’État juge effectivement que la réception est un acte unilatéral unique pour l’ensemble des marchés passés avec les constructeurs (CE Sect., 25 avril 1969, Derobert, n° 70520) qui « met fin aux rapporteurs contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage » (CE Sect., 6 avril 2007, Centre hospitalier de Boulogne-sur-mer, n° 264490). Or, le Conseil d’État juge, à l’instar de la Cour de cassation, que le maître d’œuvre est qualifiable de constructeur (CE, 27 septembre 2006, Société GTM construction, n° 269925) si bien que la « réception de l’ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage » (CE, 2 décembre 2019, Sociétés Guervilly, Puig Pujol Architecture et Bâti Structure Ouest, n° 423544).

Or, en l’espèce, la Cour administrative d’appel de Douai relève que la réception de l’ouvrage est survenue durant l’année 2013 soit bien antérieurement à la recherche de la responsabilité des maîtres d’œuvre, « de sorte que cette réception fait obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre soit recherchée à raison des fautes de conception et de surveillance du chantier qu’ils ont éventuellement commises ». Dès lors, elle en déduit logiquement que les conclusions de la région présentées sur ce fondement ne peuvent qu’être rejetées.

La Région a tenté de déporter le débat sur un autre fondement pour obtenir l’indemnisation du montant des travaux de reprise en invoquant les règles particulières d’indemnisation du maître d’ouvrage en cas de faute du maître d’œuvre dans la conception de l’ouvrage conduisant à un coût de travaux supérieur à celui qui aurait dû être celui de l’ouvrage. En effet, cette prestation fait partie de celles qui sont dissociables de la réalisation de l’ouvrage (pour l’essentiel, l’assistance aux opérations de réception et l’établissement des décomptes des marchés de travaux) et il est donc possible d’en faire état au stade de l’établissement du décompte général et définitif, puisque c’est ce dernier et non la réception la réception de l’ouvrage qui règle les droits et obligations des parties (CE Sect., 6 avril 2007, Centre hospitalier de Boulogne-sur-mer, n° 264490). Cependant, la Cour administrative d’appel de Douai rejette ce moyen aux motifs que la Région n’apporte aucun élément de nature à établir le manquement allégué.

Enfin, la Région a tenté de faire valoir la responsabilité délictuelle de la maîtrise d’œuvre mais ce moyen ne pouvait qu’être rejeté en l’absence de nullité du contrat et en raison du fait qu’il était invoqué pour la première fois en appel.

En conséquence, la Cour administrative d’appel de Douai annule le jugement attaqué et rejette les conclusions de la Région.