Urbanisme, aménagement et foncier
le 11/04/2024

La fraude corrompt tout… et le juge ne s’en rend pas complice : un permis de construire obtenu par fraude n’est pas régularisable

CE, 11 mars 2024, n° 464257

Dans sa décision n° 464257 en date du 11 mars 2024, le Conseil d’Etat vient préciser que le juge ne peut pas régulariser un vice entachant un permis obtenu par fraude.

Dans l’affaire en cause, un particulier avait sollicité un permis de construire une maison d’habitation en R+1 en lieu et place d ‘un garage existant qui servait stocker du mobilier. Le PLU de la commune prévoyait que les constructions devaient être implantées à une distance des limites séparatives au moins égale à six mètres. Cependant, une exception était réservée dans le PLU pour les surélévations de constructions existantes légalement autorisées.

Le pétitionnaire, qui souhaitait construire à 1,57 mètres de la limite séparative, s’était prévalu de cette exception, en faisant valoir que la construction surélevait un abri accolé au garage. Toutefois, devant le Tribunal administratif, statuant en premier et dernier ressort en vertu de l’article R. 811-1-1 du CJA, il a été constaté que l’abri en question était en réalité une ruine, dont les murs étaient effondrés et qui n’avait plus de toiture. Le Tribunal en a déduit que l’exception aux règles de distances ne pouvait s’appliquer dès lors que la construction autorisée ne consistait pas en une surélévation d’une construction existante. Un pourvoi en cassation a été formé devant le Conseil d’Etat. Il était reproché au juge du fond de ne pas avoir mis en œuvre les mécanismes de régularisation.

Pour rappel, l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme permet au juge administratif, saisi d’un recours en annulation d’une autorisation d’urbanisme de procéder à son annulation partielle et prévoir sa régularisation après l’instance tandis que l’article L. 600-5-1 du même Code permet de régulariser l’autorisation d’urbanisme en cours d’instance à la suite d’un sursis à statuer. En l’espèce, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 600-5 (annulation partielle) et L. 600-5-1 (sursis à statuer en vue d’une régularisation), le Conseil d’Etat estime :

« 7. Toutefois, le juge ne peut faire application de ces dispositions lorsque l’autorisation d’urbanisme dont il est saisi a été obtenue par fraude ».

En effet, en droit, la fraude consiste en des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet dans le but d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme. Lorsqu’est en cause une fraude par fausse déclaration, elle nécessite donc la réunion d’un élément matériel (la communication d’informations erronées pour obtenir un avantage alors qu’il ne remplit pas les conditions pour l’obtenir) et un élément intentionnel (la volonté délibérée de tromper l’administration).

En l’espèce, dès lors que le pétitionnaire ne pouvait ignorer que l’abri était en ruine, il a été jugé qu’il a sciemment induit en erreur la commune en le présentant comme une construction existante, les éléments de la fraude étaient donc réunis :

« 9. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la construction autorisée par le permis de construire était implantée à moins de six mètres de la limite séparative et que le pétitionnaire se prévalait, au soutien de cette implantation dérogatoire, d’une construction existante. Pour juger que le permis méconnaissait la règle énoncée au point 8, le tribunal administratif s’est fondé, par des motifs non contestés en cassation, sur ce que l’appentis en cause, accolé au garage, était en réalité en ruines et ne pouvait, de ce fait, être qualifié de construction existante. Il a également jugé, par des motifs non davantage contestés, que l’auteur de la demande de permis, qui ne pouvait ignorer cet état de fait, avait sciemment induit la commune en erreur en présentant cet appentis comme un bâtiment existant sur les plans joints à sa demande, ainsi qu’en omettant de joindre au reportage photographique qu’il avait annexé à cette demande une photographie de la façade nord du garage, à laquelle était adossée l’appentis en ruine, commettant ainsi une fraude afin de bénéficier d’une règle d’urbanisme plus favorable. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu’en s’abstenant, dans ces circonstances, de mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif n’a pas méconnu son office, ni commis d’erreur de droit ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme une solution déjà été adoptée par plusieurs juges du fond (CAA Lyon 12 octobre 2021, M. Farre, n° 20LY03430 ; CAA Marseille, 30 novembre 2023, Mme Gay, n° 22MA02534 ; CAA Nancy 27 décembre 2023, M. Humbert, n° 20NC1144).

Enfin, étant donné la nature du vice, c’est l’annulation totale du permis qui est confirmée : il appartiendra alors au pétitionnaire de présenter une nouvelle demande de permis.