Vie des acteurs publics
le 23/01/2025

La dissolution administrative des associations s’applique aux partis politiques

CE, 30 décembre 2024, n° 489498

Par un arrêt du 30 décembre 2024, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité du décret du 4 octobre 2023[1] prononçant, sur le fondement de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI), la dissolution de l’association Civitas.

Particulièrement usité ces dernières années, ce n’est vraisemblablement pas le caractère dérogatoire du régime institué par ces dispositions du CSI – permettant à l’autorité administrative de prononcer directement la dissolution de groupements ou associations dont l’activité constitue une menace immédiate pour l’ordre public – qui a valu à cette décision d’être remarquée.

Son intérêt réside, outre le fait que la Haute juridiction a jugé la dissolution justifiée (1), dans l’application de cette procédure à un parti politique (2).

 

1. Une dissolution justifiée au regard des risques de troubles à l’ordre public résultant des prises de position de l’association

Les dispositions de l’article L. 212-1 du CSI, issues de la loi du 10 janvier 1936[2], permettent la dissolution de toutes les associations ou groupements de fait par décret en conseil des ministres.

Compte tenu de l’atteinte portée à la liberté d’association par cette décision administrative – qui déroge à la compétence du juge judiciaire en la matière[3] –, le juge opère naturellement un contrôle particulièrement étroit des motifs sur lesquels elle repose.

Le Conseil d’Etat a ainsi rappelé qu’« eu égard à la gravité de l’atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure sont d’interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l’ordre public ».

Il a en outre précisé que « la décision de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prise sur le fondement de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article ».

La mise en œuvre de ce contrôle a conduit à un examen minutieux des motifs avancés pour dissoudre l’association Civitas, lequel a conduit le juge administratif à exclure l’un des trois motifs sur lesquels se fondaient le décret de dissolution.

Le premier motif, figurant à l’alinéa 5 de l’article L. 212-1 du CSI, vise les groupements « qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ».

A cet égard, le Conseil d’Etat a estimé que l’organisation de « commémorations à l’occasion de la mort de Philippe Pétain », d’hommages « à des Collaborateurs » et l’utilisation d’ « emblèmes rappelant ceux utilisés par « l’autorité de fait se disant » gouvernement de l’État français » permettaient d’établir « l’exaltation de la collaboration ».

Le deuxième motif, mentionné à l’alinéa 6 de l’article L 212-1 du CSI, permet la dissolution d’un groupement qui « provoque ou contribue par ses agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes », notamment en raison de leur appartenance à une religion ou une prétendue race.

Sur ce point, le juge administratif a relevé un certain nombre d’éléments du dossier attestant des propos antisémites régulièrement tenus par les responsables de l’association, des appels à la discrimination à l’égard des personnes de confession musulmane et plus généralement étrangères ou issues de l’immigration, ou encore de la vision hostile aux personnes homosexuelles exprimée publiquement et en des termes dégradants.

Il a en outre souligné que la mise en ligne des propos des responsables de l’association suscitait souvent des commentaires à caractère discriminatoire ou haineux, sans que ceux-ci fassent l’objet ni d’une condamnation, ni d’une modération de la part de l’association.

En revanche, s’agissant du troisième motif, le Conseil d’Etat juge que le décret a fait une inexacte application des dispositions du 3° de l’article L. 212-1 du CSI, estimant ainsi que l’association ne pouvait être dissoute sur le fondement d’une remise en cause de la forme républicaine du Gouvernement. Ce motif a néanmoins été neutralisé considérant le fait que l’auteur du décret aurait pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les dispositions des 5° et 6° de l’article L. 212-1 du CSI.

 

2. Une dissolution prononcée à l’encontre d’un parti politique

On l’a dit, l’association Civitas présentait la particularité d’être constituée en parti politique au sens de la loi de 1988[4].

Et alors que la requérante faisait justement valoir qu’elle constituait un parti politique, le juge administratif a estimé que « […] les partis politiques constitués en association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ne sont pas exclus par principe du champ d’application de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure. Le moyen tiré de ce que le décret serait entaché de détournement de procédure ou de détournement de pouvoir, au motif qu’il aurait pour objet, sous couvert de la dissolution d’une association, de procéder à la dissolution d’un parti politique ne peut donc qu’être écarté. […] ».

Pour le dire simplement, le Conseil d’Etat juge sans équivoque que l’article L. 212-1 du CSI est applicable à un parti politique, y compris au sens de la loi de 1988.

Il faut préciser que si la solution n’est pas nouvelle, la question méritait en réalité d’être reposée. En effet, depuis l’intervention de la loi du 10 janvier 1936, de nombreux groupements identifiés comme des « partis politiques » avaient déjà été dissous. Les solutions jurisprudentielles[5] rendues sur ces dissolutions étaient néanmoins antérieures à la loi de 1988 qui a créé la véritable définition du parti politique en France[6].

Si certains ont pu penser que l’existence de cette législation spécifique en matière de partis politiques pouvait suggérer une protection particulière de ces entités, la solution retenue exprime, au fond, qu’un parti politique est avant tout une association. On soulignera en outre la cohérence de cette solution sur le plan historique puisque la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association marque la naissance des partis politiques modernes – les garanties offertes par cette loi ayant contribué à permettre aux organisations politiques de l’époque de s’inscrire plus clairement dans un cadre légal[7].

______

 

[1] NOR : IOMD2326367D.

[2] Loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées.

[3] On rappellera que la dissolution d’une association peut être prononcée par le juge judiciaire, notamment à la diligence du ministère public, lorsque le groupe à un objet social non conforme à l’ordre public (article 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association).

[4] Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

[5] V. par ex. CE, 17 avril 1963, Association « Parti Nationaliste », n° 47273 ; CE, Ass., 21 juillet 1970, Sieurs Krivine et Franck, n° 76179 et 76232 ; CE, Ass., 21 juillet 1970, Sieur Jurquet, n° 76233 ; CE, 13 janvier 1971, Sieur Geismar, n° 81087.

[6] Cf. titre III de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

[7] Huard Raymond, La naissance du parti politique en France, Presses de Sciences Po. « Académique », 1996, spéc. p. 289 à 310.