Le Conseil d’Etat était saisi dans cette affaire d’un projet portant sur la construction de trois bâtiments comprenant soixante logements locatif sociaux et dix-huit logements en accession sociales à la propriété. Ce projet portant atteinte à une espèce protégée, la salamandre tachetée, les sociétés pétitionnaires ont sollicité et obtenu une dérogation à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées, prévue par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.
C’est de la légalité de cette autorisation qu’avait été saisi le tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel de Nancy qui avaient toutes deux fait droit à la demande d’annulation formulée par les requérants.
Pour ce faire, la Cour administrative d’appel de Nancy avait jugé que le projet de réalisation de logements ne répondait à pas à une raison impérative d’intérêt public majeur car même si, relevait-elle, le projet privé permettait de concourir à la poursuite de l’atteinte des objectifs du programme local de l’habitat durable de la métropole du Grand Nancy, et du quota de logements sociaux définis par la loi SRU, ce projet privé :
- N’était pas nécessaire pour atteindre ces objectifs dès lors que la commune satisfait à la date de la décision attaquée aux exigences de la loi SRU,
- Outre qu’aucun élément ne venait étayer l’affirmation selon laquelle, sans ce projet, ces objectifs ne pourraient être atteints qu’au détriment des terrains agricoles environnantes,
- Il n’est pas non plus démontré que la métropole connaîtrait une situation de tension particulière en matière de logement social en raison d’une hausse démographique prévisible et d’un besoin non satisfait.
- Il n’est pas davantage démontré que ce projet aurait pu être réalisé sur une emprise foncière moins attentatoire à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore alors que les sites permettant le développement de ce type de projets ne sont pas inexistants, tant sur le territoire de la commune, que sur celui de la métropole.
En somme, la Cour administrative d’appel jugeait que seule une rupture établie de l’offre et de la demande en matière de logement aurait pu permettre d’envisager la reconnaissance d’une raison impérative d’intérêt public majeur.
Les sociétés pétitionnaires ont formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
Celui-ci a annulé la décision et a renvoyé devant la Cour.
Nicolas Agnoux dans ses conclusions sous cette affaire, soulignait à son sens deux failles dans le raisonnement de la Cour :
- D’une part, une confusion entre les différentes conditions de l’octroi d’une dérogation espaces protégées de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement : l’existence d’une RIIPM, qui est une condition de l’octroi de cette dérogation s’apprécie indépendamment des deux autres, notamment de celle tenant à l’absence d’autre solution satisfaisante. Ce n’est que si l’on constate qu’existe un RIIPM justifiant le projet et la dérogation entreprise, qu’il faut alors s’interroger sur les autres conditions. Or, pour juger que n’existait pas de RIIPM, la Cour a relevé que les objectifs en matière d’offre de logement pouvaient être atteints par d’autres voies sans jouer au détriment des terres agricoles et que d’autres sites d’implantation étaient disponibles sur le territoire de la commune et de la métropole. Cela caractérise une erreur de droit.
- D’autre part, les autres motifs de rejet de la RIIPM ne sont pas fondés. Illustrant l’analyse particulièrement casuistique à opérer, il propose donc d’analyser in concreto la manière dont le projet répond à une RIIPM, et relève que si au jour de la délivrance de la dérogation les objectifs SRU étaient atteint, ce n’était de nouveau plus le cas en 2020, ce qui entrainait le versement des pénalités correspondantes, et le rapporteur public souligne que « la problématique de construction de logements sociaux appelle une approche de long terme, s’agissant d’opérations lourdes et structurantes».
Outre le fait que le projet s’inscrit en cohérence avec les orientations définies au niveau de l’agglomération, Nicolas Agnoux souligne surtout que les seuils légaux de 20 ou 25 % inscrits à l’article L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation ne sauraient servir ici que de références indicatives, ces taux constituant des seuils à atteindre et non des plafonds, et le conduit à considérer que : « la construction de logements sociaux est susceptible de caractériser une RIIPM si elle répond à des besoins locaux effectivement non pourvus, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une situation critique ».
Le Conseil d’Etat a censuré le raisonnement de la Cour aux motifs :
- « d’une part que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d’accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles»
- « d’autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l’objectif de 20 % fixé par le législateur et l’un des plus faibles de la métropole du Grand-Nancy, et qu’au demeurant les objectif fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux constituaient des seuils à atteindre et non des plafonds»
L’affaire est renvoyée devant la Cour.