Par une décision en date du 19 septembre 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, a dû se prononcer sur le point de savoir si la demande de rétrocession envoyée à l’administration interrompait la prescription trentenaire pour solliciter la rétrocession d’un bien exproprié qui n’a pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination.
Dans cette affaire, la commune a obtenu du préfet qu’il déclare d’utilité publique son projet de création d’un bassin tampon et d’un parc d’animation, par arrêté préfectoral de 1986.
Par un arrêté de 1987, le préfet a déclaré cessibles les parcelles nécessaires au projet.
Puis, par ordonnance en date du 15 mars 1988, le juge de l’expropriation a déclaré expropriés, au profit de la commune, en vue de la création d’un bassin tampon et d’un parc d’animation, les terrains, immeubles, portions d’immeubles, et droits réels immobiliers dont l’acquisition est nécessaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 26 février 2018, reçue le 27 février 2018, les anciens propriétaires des parcelles expropriés ont écrit à la commune en soutenant que les parcelles dont ils ont été expropriés n’ont qu’en partie reçu la destination prévue par la déclaration d’utilité publique, puisque, selon eux, si un bassin de rétention des eaux pluviales a bien été implanté sur une des parcelles expropriées, les travaux relatifs à la création d’un parc d’animation n’auraient jamais eu lieu.
La commune n’a jamais répondu à cette demande.
Les anciens propriétaires expropriés ont alors assigné la commune devant le Tribunal de grande instance de Caen, par assignation en date du 27 juin 2018, aux termes de laquelle ils sollicitent, sur le fondement des dispositions de l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation, la rétrocession de leurs parcelles.
Pour rappel, l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation dispose que :
« Si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique. »
L’article R. 421-6 du même Code dispose que :
« Le tribunal judiciaire est compétent pour connaître des litiges nés de la mise en œuvre du droit prévu à l’article L. 421-1, lorsque la contestation porte sur le droit du réclamant.
Le recours est introduit, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet. »
Par un jugement en date du 15 décembre 2020 (RG n° 18/02140), la première chambre civile du Tribunal judiciaire de Caen a déclaré les requérants irrecevables en leur action aux fins de rétrocession des parcelles, pour cause de prescription.
Ils ont alors interjeté appel devant la première chambre civile de la Cour d’appel de Caen, laquelle a confirmé, par sa décision en date du 26 juin 2023 (RG n° 21/00342), le jugement de première instance.
Enfin, les requérants se sont pourvus devant la Cour de cassation. Ils soutiennent en effet que leur assignation n’est pas prescrite car leur demande de rétrocession auprès de l’administration a interrompu le délai de trente ans, que cette demande préalable obligatoire s’assimile à celle que l’on retrouve en matière administrative, consacrée par le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
Selon eux, seule la demande auprès de l’expropriante doit intervenir dans le délai de 30 ans tandis que la saisine du juge civil pour solliciter la rétrocession peut intervenir au-delà du délai de 30 ans, dès lors qu’elle intervient dans le délai de 2 mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet explicite ou implicite.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que :
« 7. En premier lieu, la demande préalable de rétrocession adressée à l’autorité expropriante ne constituant pas un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative, au sens de l’article L. 411-2 du Code des relations entre le public et l’administration, ce texte ne lui est pas applicable.
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- En second lieu, ne constituant pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil, elle n’est pas interruptive du délai de prescription trentenaire.
- Il en résulte que l’action judiciaire en rétrocession doit être engagée dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet et dans le délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation. »
La Cour de cassation considère ici que les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration ne s’appliquent pas à la matière d’expropriation, celle-ci disposant de règles spéciales.
En outre, la Cour de cassation considère que le courrier envoyé en LRAR portant demande de rétrocession à l’administration n’est pas au nombre des demande en justice du Code civil permettant d’interrompre le délai de prescription trentenaire.
Concrètement, dans notre espèce, si la demande auprès de la Commune a bien eu lieu dans le délai de 30 ans, reçue le 27 février 2018, l’assignation est, elle, intervenue le 27 juin 2018, soit deux mois après la décision implicite de refus de rétrocéder le bien par la commune du 27 avril 2018, de sorte qu’elle est intervenue au-delà du délai de 30 ans qui a commencé à courir le 15 mars 1988.
Par conséquent, la Cour de cassation confirme que l’assignation en justice portant rétrocession d’un bien exproprié est enfermée dans deux délais :
- elle doit intervenir dans le délai de deux mois à compter de la décision de refus de l’administration de procéder à la rétrocession à la suite d’une demande en ce sens de l’exproprié ;
- elle doit également intervenir au sein du délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation.