Urbanisme, aménagement et foncier
le 13/10/2022

Intérêt à agir contre un permis de construire : l’environnement du projet s’apprécie également à la date l’affichage en mairie de la demande d’autorisation d’urbanisme

CE, 9 septembre 2022, n° 461113

Par une décision en date 9 septembre dernier, le Conseil d’Etat a précisé la manière d’apprécier l’intérêt à agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

Dans cette affaire, la société requérante a demandé au Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la délibération en date du 29 juin 2021 par laquelle le conseil exécutif de la collectivité de Saint-Barthélemy a délivré un permis de démolir une construction existante et un permis de construire pour la construction d’un restaurant de plage comprenant une boutique, une cave à vin et un bar, ainsi qu’un parc de stationnement semi-enterré, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par une ordonnance du 20 janvier 2022, le Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy a rejeté cette demande comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir en se fondant sur la densification du bâti dans le secteur d’implantation du projet en raison de la construction en cours d’une résidence de tourisme de cinq logements sur un terrain adjacent à la parcelle d’assiette du projet et situé à deux parcelles du terrain de la société requérante. Le Tribunal a ainsi considéré que la distance séparant les résidences exploitées par la requérante et le projet, la densification du bâti, la configuration et la nature du projet, sa desserte et le caractère particulièrement animé de cette partie de l’île ne permettaient pas de le regarder comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des propriétés de la société requérante.

La société requérante s’est alors pourvue en cassation contre l’ordonnance du Juge des référés du 20 janvier 2022.

Dans ce contexte le Conseil d’État a été amené à préciser la manière d’apprécier l’intérêt à agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

Pour ce faire, le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions de l’article L. 600-1-2 duCcode de l’urbanisme, applicables à Saint Barthélémy, prévoient que :

« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Il a, ensuite, rappelé que les dispositions de l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme, également applicable à Saint-Barthélemy, prévoient que :

« Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a précisé qu’au regard des dispositions de l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme, « sauf circonstances particulières, l’intérêt pour agir d’un requérant contre un permis de construire s’apprécie au vu des circonstances de droit et de fait à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures, qu’elles aient pour effet de créer, d’augmenter, de réduire ou de supprimer les incidences de la construction, de l’aménagement ou du projet autorisé sur les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance mentionnées à l’article L. 600-1-2. A ce titre, il y a lieu de procéder à cette appréciation au vu des constructions environnantes dans leur état à cette date ».

Ce considérant s’inscrit dans la continuité des préconisations de Monsieur Laurent Domingo, Rapporteur public, qui indique « qu’il faut demeurer très réaliste dans l’appréciation de l’intérêt à agir, il convient de prendre en considération non pas des projets, mais des constructions en l’état où elles se trouvent. Il n’y a donc pas lieu de retenir les constructions dont la demande d’autorisation est en cours d’instruction, ni même les constructions qui sont autorisées, car l’on sait très bien qu’une demande de permis, même en apparence avec un dossier très bien pensé et présenté, peut donner lieu à une décision de refus, comme l’on sait qu’un permis de construire accordé peut, pour diverses raisons, ne pas être mis en œuvre. Il n’y a lieu de retenir que les constructions effectivement réalisées, et en l’état où elles sont réalisées, car l’on sait aussi qu’un chantier, pour divers motifs, peut être interrompu, et le cas échéant ne jamais reprendre » (Conclusions de Monsieur Laurent Domingo, Rapporteur public, sur l’arrêt CE 22 septembre 2022, req. n° 461113).

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a jugé qu’en se fondant sur des motifs, tels que la densification du bâti dans le secteur d’implantation, alors que la résidence de tourisme n’avait pas été construite à la date d’affichage de la demande de permis de construire de la société bénéficiaire, le Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy a commis une erreur de droit.

En outre, le Conseil d’Etat a rappelé qu’en se fondant sur ce que le terrain de la société requérante était desservi par une voie indépendante pour rejeter son intérêt à agir, alors que cette circonstance ne fait pas par elle-même obstacle à ce que ce projet, par son incidence sur la circulation sur cette route, soit de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de sa propriété, le Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy a commis une seconde erreur de droit.

Par suite, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy du 20 janvier 2022.