Vie des acteurs publics
le 16/03/2023
Camille LANGLADE DEMOYENCamille LANGLADE DEMOYEN

Interdiction d’événements en cas de risques avérés d’atteinte à l’ordre public : une application intéressante des jurisprudences classiques en matière de police

CE, 4 mars 2023, n° 471871

Par deux ordonnances récentes en date des 24 février et 4 mars 2023, les Juges du référé liberté du Tribunal administratif de Lille et du Conseil d’Etat se sont prononcés à propos de deux interdictions d’événements, dont le contenu était de nature à porter atteinte à l’ordre public.

Rappelons que le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé à propos de l’interdiction d’une réunion publique, en jugeant que l’interdiction par un maire d’une réunion publique n’est légale que lorsque la menace d’atteinte à l’ordre public est exceptionnellement grave et que le maire ne dispose en l’espèce pas des forces de police nécessaires pour permettre la tenue de la réunion tout en préservant l’ordre (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520).

Très récemment, le Tribunal administratif de Lille a fait une application de la jurisprudence « Benjamin » du Conseil d’Etat à propos d’une réunion organisée par une association en soutien au député Grégoire de Fournas intitulé « Qu’ils retournent en Afrique », dont la programmation a entraîné une réaction de groupuscules d’ultra-gauche, qui a appelé à un rassemblement contre l’événement.

Afin de prévenir les troubles à l’ordre public, le Tribunal administratif de Lille a considéré que l’interdiction de cette réunion ordonnée par le Préfet sur le fondement du 4° de l’article L. 2215-1 du CGCT qui permet en cas d’urgence de « prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées », était justifiée « eu égard au retentissement médiatique de cette affaire, le risque d’affrontement en plein centre-ville de Lille, entre de nombreux représentants des groupuscules d’extrême gauche et antifascistes, d’une part, et les personnes soutenant l’évènement organisé par l’association requérante, d’autre part, est très sérieux » (TA Lille, 24 février 2023, n° 2301587).

Dans le même sens, le Juge du référé liberté du Conseil d’Etat a fait une application récente de sa jurisprudence « Dieudonné » par laquelle il avait antérieurement légalement autorisé, l’interdiction d’un spectacle contenant des propos pénalement répréhensibles en considérant que si la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés, celle-ci peut être restreinte pour des exigences d’ordre public, à condition que ces restrictions portées à l’exercice de cette liberté fondamentale soient nécessaires, adaptées et proportionnées (CE, ord. 9 janvier 2014, Dieudonné, n° 374508).

En effet, le Conseil d’Etat a considéré dans la présente affaire, que l’arrêté du maire portant sur l’interdiction d’une conférence dont les propos tenus par les intervenants portent « atteinte aux principes et valeurs de la République, à la cohésion nationale et à la dignité des femmes » est légalement justifiée en raison des risques avérés de trouble à l’ordre public.

Plus précisément, le Conseil d’Etat a estimé que dans la mesure où les intervenants sont issus de la mouvance salafiste et que leurs « idées et théories récurrentes justifient également l’infériorité des femmes, leur soumission totale à leur époux, y compris par la violence, la supériorité de la religion sur les principes de la République », il existait un risque avéré de trouble à l’ordre public compte tenu de la pluralité d’intervenants et de la nature de cette réunion accueillant un public nombreux (CE, 4 mars 2023, n° 471871).