On savait déjà que le principe d’impartialité, prévu à l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (lequel a été codifié à l’article L.121-1 du Code général de la fonction publique) s’impose à toute autorité administrative dans toute l’étendue de son action, y compris dans l’exercice du pouvoir hiérarchique.
Sur le fondement de ce principe, le Conseil d’Etat a précédemment considéré[1] que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison d’actes commis à l’encontre de son subordonné, qui, par leur nature ou leur gravité, sont insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, « ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. »
Dans un arrêt en date du 20 juin 2024, la Cour administrative d’appel de Lyon est-elle venue définir les contours du principe d’impartialité dans l’hypothèse où un supérieur hiérarchique serait amené à instruire une demande d’imputabilité au service d’un accident déclaré par un agent à la suite d’une réunion avec ledit supérieur hiérarchique, et notamment préciser si ce dernier était tenu de se déporter en pareil cas.
En l’espèce, un directeur général des services contestait le refus du maire de sa commune de lui reconnaître l’imputabilité au service de l’accident dont il s’estimait victime, en soutenant notamment que la décision avait été prise par une autorité incompétence au motif que le maire aurait dû se déporter du fait de sa partialité. L’agent avait déclaré un harcèlement moral puis une atteinte psychologique à la suite d’une réunion avec le maire et ses adjoints. La Cour est venue préciser, dans le cadre d’un considérant de principe, que si le respect du principe d’impartialité commande à l’autorité hiérarchique compétente, personnellement mise en cause par un agent, de s’abstenir de statuer sur la demande présentée par cet agent et qui tendrait à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite nécessitée par cette mise en cause personnelle, « il en va différemment lorsque la même autorité doit statuer sur une demande mettant en cause la collectivité ou le service que cette autorité représente ». En effet dans cette dernière hypothèse, la Cour considère que l’autorité hiérarchique « peut régulièrement statuer et l’impartialité à laquelle elle est tenue doit s’apprécier, dans les circonstances de l’espèce, en fonction de l’attitude qu’elle aura manifestée au cours de l’instruction puis dans la prise de la décision ».
Cette décision établie donc une distinction dans l’appréciation du principe d’impartialité, entre deux cas de figures :
1/. Lorsque l’autorité hiérarchique compétente est personnellement mise en cause par un agent qui présente une demande tendant à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite (nécessitée par cette mise en cause personnelle): elle est alors tenue, au nom du principe d’impartialité, de s’abstenir de statuer sur cette demande et doit donc obligatoirement se déporter au profit d’une autre autorité.
En pareil cas, le refus de se déporter méconnait le principe d’impartialité ;
2/. Lorsque l’autorité hiérarchique statue sur une demande du même type mais mettant en cause la collectivité ou le service qu’elle représente: elle peut statuer sur la demande mais son impartialité pourra toutefois être contrôlée par le juge, et s’appréciera en fonction de son attitude au cours de l’instruction et dans la prise de la décision[2].
En pareil cas, le refus de se déporter ne méconnait pas en lui-même le principe d’impartialité.
Au cas d’espèce, les juges d’appel ont estimé – dans le cadre de la 1ère étape du raisonnement – que même si les causes de l’accident de service impliquaient le maire, la demande de reconnaissance d’accident de service mettait en cause la commune et non le maire, de sorte que le refus de reconnaitre l’imputabilité au service n’était pas entaché de partialité au seul motif que le maire ne s’était pas abstenu de statuer.
Puis – dans le cadre de la 2nde étape du raisonnement – ils ont considéré que le maire a pu statuer sans méconnaitre ledit principe, dès lors qu’il « s’est borné à consulter la commission départementale de réforme de l’Isère et à s’en approprier le sens, sans manifester de parti pris au cours de l’instruction ou à l’occasion de la rédaction de la décision ». Les juges en ont donc déduit que l’absence de manifestation d’un parti-pris de la part du maire et le fait pour celui-ci d’avoir suivi l’avis de la Commission de réforme, permettaient, dans les circonstances de l’espèce, de conclure à l’absence de partialité de l’autorité hiérarchique.
Cet arrêt laisse présager des contentieux en perspective, à l’issue incertaine pour les administrations publiques puisque, même dans le cas où le déport n’est pas obligatoire (pas de mise en cause personnelle), l’impartialité de l’autorité hiérarchique lors de l’instruction d’une déclaration d’accident de service, pourra être contrôlée par le juge administratif, et appréciée en fonction des circonstances de l’espèce.
[1] CE, 29 juin 2020, n° 423996.
[2] A cet égard on peut rappeler que dans une décision en date du 30 décembre 2010, n° 338273, le Conseil d’Etat avait considéré que le principe d’impartialité impose de « s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe ».