Vie des acteurs publics
le 19/04/2022

Illégalité de la présence d’un emblème religieux sur une parcelle communale ne relevant pas des emplacements publics limitativement prévus par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905

CE, 11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d'Alvey, n° 454076

En 2014, une statue de la Vierge Marie d’une hauteur de 3,6 mètres a été installé sur une parcelle de la commune de Saint-Pierre d’Alvey, village situé dans le département de la Savoie. Réalisé et financé par une association de droit privé, cet emblème religieux installé sur le domaine communal n’a toutefois pas fait l’unanimité.

Des habitants de la commune, invoquant la méconnaissance du principe de laïcité, ont ainsi demandé au maire de procéder à son retrait. Cette demande ayant donné lieu à une décision implicite de rejet, les habitants ont porté le litige devant le juge administratif.

En première instance, le Tribunal administratif de Grenoble a refusé de faire droit à la demande des requérants tendant à l’annulation de la décision susvisée et à ce qu’il soit enjoint au maire de procéder au retrait de la statue (TA Grenoble, 3 octobre 2019, n° 1603908). En effet, le juge a considéré que le terrain sur lequel l’emblème a été installé, marqué d’une croix sommitale et situé à environ deux kilomètres de l’église de la commune, devait être considéré comme une dépendance de celle-ci. Dès lors, il était possible d’y installer une statue de la Vierge Marie.

La Cour administrative d’appel de Lyon donnera finalement gain de cause aux habitants, en jugeant que la parcelle communale sur laquelle était installée la statue ne pouvait être regardée comme fonctionnellement indissociable de l’église. N’étant pas constitutive d’une dépendance indissociable et affectée de ce fait au culte, aucun emblème religieux ne pouvait donc y être édifié (CAA Lyon, 29 avril 2021, n° 19LY04186).

Contestant cette lecture de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, la commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Pour rappel, l’article 28 de cette loi pose un principe général d’interdiction d’élever ou d’apposer un quelconque signe ou emblème religieux sur les monuments et emplacements publics, exception faite des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. Le Conseil d’État avait ainsi déjà pu juger illégale, sur ce fondement, l’installation d’une statue du Pape Jean-Paul II sur une place communale (CE, 25 octobre 2017, n° 396990).

En l’occurrence, invités à se prononcer sur la qualification d’édifice servant au culte du terrain d’assise de la statue de la Vierge Marie et, en conséquence, sur la possibilité d’y installer un emblème religieux, les Juges du Palais-Royal ont répondu par la négative. En effet et contrairement à ce qu’avançait la commune requérante, le fait que des processions religieuses partant de l’église et convergeant vers ce terrain aient lieu chaque année depuis le 18ème siècle à l’occasion de la Pentecôte ne suffit pas à faire de cette parcelle un édifice cultuel au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

Dans ces conditions, et dès lors que la parcelle ne constitue pas davantage un terrain de sépulture, un monument funéraire ou un lieu d’exposition, il a été jugé que la présence de la statue de la Vierge Marie méconnaissait les dispositions susmentionnées de la loi du 9 décembre 1905.

Le Conseil d’Etat a précisé, à cette occasion, que l’interdiction ainsi posée par l’article 28 de cette loi concerne à la fois les dépendances du domaine public et du domaine privé de la collectivité concernée.

Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle que l’éventuelle qualification de la parcelle en dépendance immobilière nécessaire de l’église, au sens des articles 12 et 13 de la loi du 9 décembre 1905, et 5 de la loi du 2 janvier 1907, est sans incidence sur la légalité de la présence de la statue sur le domaine public. En effet, en application de ces dispositions, cette qualification de dépendance d’un édifice du culte, contrairement à celle d’édifice servant au culte, n’a d’incidence qu’en matière de propriété et d’affectation cultuelle de la parcelle.

Ainsi, seule la qualification d’édifice servant au culte de la parcelle aurait en l’espèce permis d’y élever des emblèmes religieux.