A l’occasion de la journée de la laïcité, le 9 décembre dernier, le Conseil d’Etat a publié un dossier thématique intitulé « Le juge administratif et l’application du principe de laïcité ».
Il y procède à des rappels généraux relatifs aux deux volets du principe de laïcité, à savoir le principe de neutralité religieuse de l’Etat et celui de la liberté religieuse des individus.
Le dossier présente également les différents aménagements dont peuvent souffrir ces principes, afin de tenir compte d’autres impératifs d’intérêt général comme la garantie de l’effectivité de la liberté religieuse des individus ou la protection de l’ordre public.
Il est ainsi rappelé que le principe de neutralité ne s’oppose pas à un financement public dérogatoire des cultes dans des circonstances précises comme lorsque les usagers du service public ne peuvent exercer librement leur culte par eux-mêmes (hôpitaux, prisons par exemple), ou au travers de l’entretien de certains lieux de culte par exemple.
Le cas spécifique des agents publics, tenus à une obligation de neutralité en tant que représentants incarnés de l’administration (article L. 121-2 du Code général de la fonction publique – CGFP), mais bénéficiant du droit au respect de leurs convictions religieuses en tant qu’individus, est également abordé.
Enfin, les aménagements de l’expression des convictions religieuses des individus, fondés sur des motifs d’intérêt général et de protection de l’ordre public sont évoqués.
Le guide comporte une annexe proposant une sélection de jurisprudence en matière de laïcité pour la période 2014-2024.
S’il s’agit principalement de décisions du Conseil d’Etat connues, figurent quelques jugements de tribunaux administratifs intéressants, ainsi que de récents arrêts de cours administratives d’appel.
Ainsi, par exemple, est cité un jugement du Tribunal administratif de Toulouse en date du 30 mars 2023 (n° 2105014) dont il résulte que la projection de caricatures parues dans Charlie Hebdo sur des bâtiments publics en hommage à Samuel Paty ne porte pas atteinte au principe de neutralité ou de laïcité :
« en se bornant à exposer six dessins à caractère satirique parus dans un organe de presse dont la diffusion est dûment autorisée, la présidente de la région Occitanie n’a pas davantage porté atteinte aux principes de neutralité ou de laïcité des services publics dès lors que cette diffusion et les dessins en cause ne comportaient aucune stigmatisation d’une conviction idéologique ou religieuse en particulier, ni une prise de position à leur égard de la part de l’autorité publique mais visaient simplement à relayer le message tenant aux principes à valeur constitutionnelle de laïcité, de liberté d’expression et de liberté de conscience, ainsi que l’expose le communiqué de presse précité ».
Parmi les arrêts récents de cours administratives d’appel, l’un d’entre eux est particulièrement intéressant. Il s’agit d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 18 octobre 2024 (n° 23PA02755) dont il résulte, d’une part, que la « tabâa » ne constitue pas un signe dont le port manifeste l’intention d’un agent public de manifester sa religion et, d’autre part, qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier le respect de l’interdiction faite aux agents publics de manifester, dans l’exercice de leurs fonctions, leurs croyances religieuses, au cours de la phase de recrutement d’un candidat.
Plus précisément, la tabâa est une marque sur le front constituant une dermatose pigmentée, due à une pratique assidue de la religion musulmane car résultant de la friction générée par le contact régulier du front d’un individu avec le tapis de prière.
Il a été jugé que, s’il est constant que la marque constitue un signe de l’appartenance religieuse de l’agent, elle n’est que la conséquence physique d’une pratique religieuse exercée dans un cadre privé. En outre, en l’espèce, il ne ressortait d’aucune pièce du dossier qu’elle aurait été recherchée à titre de signe distinctif. Dès lors, elle ne pouvait être regardée, en tant que telle, comme traduisant la volonté de l’intéressé de manifester ses croyances religieuses dans le cadre du service public.
En revanche, a été validée par la juridiction la circonstance que l’autorité administrative s’assure, lors de l’entretien, des garanties présentées par le candidat en vue de l’exercice de ses futures fonctions, notamment au regard du principe de laïcité. La Cour a ainsi estimé que cela ne constituait pas une discrimination du candidat à raison de ses convictions religieuses.