Vie des acteurs publics
le 17/10/2024

Gestion de fait : la Cour des comptes condamne plusieurs élus municipaux en raison de l’immixtion de deux associations dans le recouvrement de recettes destinées à la collectivité

Cour des comptes, 10 octobre 2024, n° S-2024-1311

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, la gestion de fait est désormais une infraction, sanctionnée par les juridictions financières, en vertu du nouvel article L. 131-15 du Code des juridictions financières. Elle constitue néanmoins une survivance de l’ancienne responsabilité personnelle et pécuniaire (« RPP »), supprimée par l’ordonnance précitée qui a créé un régime juridictionnel unifié de responsabilité des gestionnaires publics.

Pour rappel, la gestion de fait concerne toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous le contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’est ingérée dans le maniement de deniers publics. Le maniement des fonds publics relève, en effet, de la seule compétence du comptable public. Celui-ci est autorisé à payer les dépenses des personnes morales de droit public, à encaisser leurs recettes et, d’une manière générale, à gérer les crédits, fonds et valeurs leur appartenant. Lorsqu’une personne (physique ou morale) manie ces deniers, en lieu et place du comptable public, elle est ainsi reconnue comptable de fait (ou autrement appelée gestionnaire de fait).

Par un arrêt prononcé le 10 octobre dernier, la Cour des comptes, statuant pour la première fois sur l’infraction de gestion de fait, a condamné le maire et trois conseillers municipaux d’une commune pour avoir organisé l’encaissement, par deux associations, de recettes destinées à la collectivité.

Dans cette affaire, la Cour s’est d’abord déclarée compétente pour juger les élus locaux susceptibles d’avoir commis l’infraction de gestion de fait, y compris pour la période antérieure au 1er janvier 2023.  A cet égard, elle indique que la gestion de fait était déjà, dans le régime antérieur, sanctionnée par une amende (prononcée soit par la Cour de discipline budgétaire et financière, soit par la chambre régionale des comptes) et que la sanction de cette infraction – dont elle souligne que les éléments constitutifs demeurent inchangés – relève désormais de sa compétence depuis le 1er janvier 2023.

Sur le fond, deux séries d’irrégularités ont conduit la Cour à caractériser l’infraction de gestion de fait. S’agissant de la première série d’irrégularités, elle a considéré que l’encaissement, par une association, de recettes issues de la vente par un musée communal d’objets confectionnés et des billets d’entrée dans cet équipement, alors même qu’une régie de recettes avait été instituée à cet effet, constituait une gestion de fait des deniers de la collectivité. Pour retenir que l’association ne disposait pas d’un titre légal pour manier les sommes en cause, elle a notamment écarté une convention dite de délégation de service public, conclue entre la collectivité et l’association mais qui n’emportait pas transfert du risque d’exploitation au cocontractant.

Dans la seconde affaire, la Cour a regardé comme constitutifs de gestion de fait l’encaissement de recettes et le règlement de dépenses concernant des manifestations culturelles et sportives organisées par la commune, qui en a confié la gestion financière à une autre association, sans convention.

Ces irrégularités ont été imputées au maire et à deux adjointes, qui avaient donné instruction aux deux associations d’effectuer les opérations litigieuses, ainsi qu’au président et à la trésorière de la seconde association, ces derniers, par ailleurs conseillers municipaux, s’étant prêtés à ce dispositif. Tenant compte des circonstances de l’espèce et, en particulier, de la bonne foi et de la contribution active de certaines des personnes renvoyées à la cessation des irrégularités et de leur degré respectif d’implication dans le maniement des fonds publics, la Cour a prononcé des amendes de 3.000, 2.000 et 1.000 €, ainsi qu’une dispense de peine. La Cour a également décidé que l’arrêt soit intégralement publié au Journal officiel de la République française.

Si la forme associative est régulièrement utilisée par les collectivités en raison de la souplesse que son régime juridique procure, la décision commentée vient rappeler qu’elle n’en demeure pas moins un vecteur récurrent de gestion de fait.

On soulignera enfin que les faits ont été signalés au ministère public par un directeur régional des finances publiques, autorité désormais habilitée, en vertu de l’ordonnance du 23 mars 2022, à déférer au ministère public près la Cour des comptes des faits susceptibles de constituer des infractions financières (article L. 142-1-1 du Code des juridictions financières).