Droit du travail et de la sécurité sociale
le 19/12/2024
Benoît ROSEIRO
Yousra JULIÉ

Fusion / statut collectif : l’accord prolongeant provisoirement un statut collectif ne vaut pas accord de transition

Cass. Soc., 27 novembre 2024, n° 22-20.886

La Cour de cassation a jugé que ne constitue pas un accord de substitution dit « de transition », l’accord collectif se limitant à prolonger temporairement le statut collectif applicable au personnel transféré.

Dans le cadre d’une fusion, l’employeur qui absorbe une entité reçoit le personnel transféré en leur garantissant la reprise de leur contrat de travail avec le maintien de la rémunération contractuelle et de l’ancienneté conformément à l’article L. 1224-1 du Code du travail.

S’agissant du statut collectif dont le personnel bénéficiait chez le précédent employeur, il n’est transféré que temporairement pendant un délai dit de survie limité à un maximum 12 mois à l’expiration d’un préavis, généralement de 3 mois (C. trav. art. L. 2261-14). Ce délai de 15 mois permet au nouvel employeur de négocier un accord de substitution.

A défaut d’un tel accord de substitution dans ce délai de survie, les salariés transférés bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des 12 derniers mois.

Pour favoriser la négociation d’un tel statut collectif, le législateur permet aux parties d’engager la négociation et de conclure un accord de substitution avant la fusion. Ainsi au jour du transfert le nouveau statut collectif entre en vigueur. Ce mécanisme permet d’éviter à l’employeur la contrainte d’appliquer deux statuts collectifs pendant le délai de survie.

Dans ce cadre, le législateur a prévu deux modes de négociation anticipée :

  • Les accords dits « de transition » qui visent les seuls salariés transférés dont l’accord est mis en cause et dont la durée est limitée à 3 ans ;
  • Les accords dits « d’adaptation » applicables aux salariés transférés et ceux de l’entité d’accueil.

Dans l’arrêt du 27 novembre 2024, la Cour de cassation vient préciser la qualification de l’accord collectif de transition ».

1. Les faits

Il s’agissait d’un Groupe industriel qui a procédé à la fusion de treize entités en trois sociétés. Afin d’organiser les négociations futures, un accord de groupe avait été conclu pour définir le cadre des discussions visant l’élaboration de nouveaux accords applicables au périmètre restructuré. Le 28 janvier 2021, un nouvel accord collectif a été signé assurant la prolongation jusqu’au 31 décembre 2022 des dispositions conventionnelles antérieures à la fusion. La CFDT, contestant cette démarche, voyait dans cet accord un « accord de transition » soumis à la limite de trois ans prévue par l’article L. 2261-14-2 du Code du travail.

 

2. La question de droit

La Cour de cassation devait déterminer si cet accord dont l’objet est de limiter après une fusion la prolongation temporaire du statut collectif antérieur pouvait être considéré comme un accord de substitution dit « de transition », soumis à une durée maximale de trois ans.

 

3.La décision de la Cour de cassation

La Haute juridiction a confirmé que l’accord en question ne constituait pas un tel accord de transition.

Elle a relevé que cet accord prolongeait les dispositions antérieures à la fusion pour l’ensemble des salariés (y compris ceux embauchés postérieurement à la fusion) sans prévoir de mesures transitoires spécifiques aux seuls salariés transférés.

En conséquence, cet accord relevait d’un accord de droit commun et n’était pas soumis à la limitation de trois ans applicable aux accords de transition. La Cour de cassation a ainsi refusé de considérer l’accord litigieux comme un accord de substitution « de transition » au sens de l’article L. 2261-14-2 du Code du travail.

 

4. Portée et point de vigilance

Cette décision clarifie la frontière entre accord de transition et la prolongation du statut antérieur formalisée par un accord collectif.

Désormais, un accord n’ayant pas pour objet de traiter spécifiquement le cas des salariés transférés ne saurait être qualifié d’accord de transition.

Pour les employeurs, cela signifie qu’ils peuvent, sous réserve de l’accord des syndicats représentatif, prolonger les dispositions antérieures au-delà de la durée légale prévue pour les accords de transition, tant que l’accord ne cible pas exclusivement les salariés transférés.

Cependant, il apparait un point de vigilance sur la portée de cet arrêt car si un tel accord ne peut être qualifié d’accord de transition, mais d’un simple « accord de droit commun », il ne semble pas relever de la qualification d’accord de substitution s’il est uniquement signé par les syndicats de l’entité absorbé avant le transfert.

Le cas échéant, l’employeur n’ayant pas formalisé un accord de substitution dans le délai de survie, il se verra contraint de garantir aux salariés transférés la garantie de rémunération versée lors des 12 derniers mois.

Il est donc essentiel d’assurer une négociation et qualification rigoureuse des accords organisant le statut collectif des salariés transférés.