Contrats publics
le 17/03/2022

Faculté de l’autorité concédante d’imposer aux candidats à l’attribution d’une concession l’identification de leurs futurs cocontractants et irrégularité de l’offre ne respectant pas cette exigence

CE, 2 mars 2022, Min. de la transition écologique, n° 458354

Par un arrêt en date du 2 mars 2022, le Conseil d’État confirme la faculté des autorités délégantes d’imposer aux soumissionnaires à une concession de services de produire des éléments précis sur les contrats qu’ils entendent conclure dans le cadre l’exécution de la concession et notamment d’indiquer à cet effet l’identité de leurs futurs cocontractants. La Haute juridiction juge également que le non-respect de cette exigence des documents de la consultation constitue une irrégularité justifiant le rejet de l’offre litigieuse.

En l’espèce, le ministère chargé des transports a lancé une consultation en vue de la passation d’une concession de service portant sur l’exploitation de l’aéroport de Tahiti Faa’a.  La Chambre de commerce, d’industrie, des services et des métiers de Polynésie française (ci-après « CCISM »), la société Meridiam SAS, la société Aéroport Marseille Provence et la société Boyer ont participé à cette procédure, dans le cadre d’un groupement momentané d’entreprises. Les membres du groupement ont été informés par courrier du 15 septembre 2021 du rejet de leur offre.

La CCSIM a alors saisi le Juge du référé précontractuel sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-24 du Code de justice administrative (disposition applicable en matière de référé précontractuel à la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna). Le Juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de la Polynésie française a, par une ordonnance du 28 octobre 2021, annulé la décision attribuant cette concession au groupement composé de la société Egis Airport Opération et de la Caisse des dépôts et consignations au motif que leur offre était irrégulière faute d’avoir indiqué l’identité de leurs futurs cocontractants dans les contrats qu’elles entendaient conclure pour assurer l’exécution de la concession.

La société Egis Airport Opération et de la Caisse des dépôts et consignations ont introduit un pourvoi en cassation contre l’ordonnance précitée.

Le Conseil d’État commence par procéder à une analyse des documents de la consultation et constate notamment que le « point « 7.2 Présentation de la structure contractuelle » du guide de constitution des offres [prévoit que] « Le Candidat produira une note détaillée explicitant le montage juridique et financier envisagé pour l’exécution de la Convention de Concession et décrira de manière précise (à l’aide d’un schéma commenté) la structure contractuelle adoptée, les principaux contrats mis en place ainsi que l’identité des différents intervenants (actionnaires de la société concessionnaire, constructeurs, prêteurs, autres cocontractants) et leurs rôles dans la conception et la réalisation des Travaux Initiaux, le financement, l’exploitation de l’aérodrome, l’entretien, la maintenance et le gros-entretien et renouvellement des biens de l’aérodrome » ».

Le Conseil d’État en déduit ensuite que le Juge du référé précontractuel a pu relever, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu’il résultait « des termes de ce guide que les candidats devaient, à l’appui de leur offre, transmettre des éléments précis sur les contrats à conclure, comportant notamment, pour les constructeurs en charge de la conception et de la réalisation des travaux initiaux, l’indication de l’identité des futurs cocontractants ». Or, il n’était pas contesté que « l’offre présentée par le groupement retenu à l’issue de la phase de sélection ne fournissait pas l’identité des cocontractants « constructeurs » pressentis [si bien que] le juge des référés […] a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que cette offre ne respectait pas ces conditions indiquées dans les documents de la consultation », qu’elle était, par conséquent, irrégulière et devait par suite être éliminée.

Appréciant cette irrégularité au prisme de la jurisprudence « Smirgeomes » (CE Sect., 3 octobre 2008, Smirgeomes, n° 305420), le Conseil d’État rappelle que le fait d’attribuer un contrat de la commande publique à un candidat ayant présenté une offre irrégulière constitue un manquement susceptible de léser un candidat évincé y compris lorsque le candidat évincé a lui-même présenté une offre irrégulière (CE, 27 mai 2020, Société Clean Building, n° 435982) aussi ce dernier est susceptible d’invoquer un tel moyen dans le cadre d’un référé précontractuel ou contractuel. En l’espèce et en application des principes précités, « le fait de retenir une offre irrégulière était susceptible de léser le groupement auquel appartenait la CCISM ». Le Juge du référé précontractuel n’a donc pas commis d’erreur de droit ni exactement qualifié les faits en prononçant l’annulation de la décision d’attribution de la concession. Il est intéressant de relever que le Conseil d’État souligne que si le Juge du référé précontractuel avait tiré toutes les conséquences du manquement, il aurait dû prononcer l’annulation de la procédure et non simplement de la décision d’attribution. Cependant, cette erreur est sans incidence sur l’appréciation de la lésion de la CCISM et les requérantes n’étaient pas fondées à demander l’annulation de l’ordonnance querellée pour ce motif.