Urbanisme, aménagement et foncier
le 12/03/2025

Expropriation : Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation sur le recours en perte de base légale d’une ordonnance d’expropriation

Cass. Civ., 3ème, 16 janvier 2025, n° 23-21.174

Dans un arrêt du 16 janvier 2025, la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence important concernant les possibilités de recours ouvert aux expropriés contre l’ordonnance d’expropriation pour défaut de base légale.

Pour rappel, le prononcé d’une ordonnance d’expropriation ouvre notamment deux voies de recours aux expropriés :

  • Un premier recours sous la forme d’un recours en cassation engagé directement contre l’ordonnance d’expropriation en application de l’article 223-1 du Code de l’expropriation. Conformément aux dispositions de l’article, l’ordonnance « ne peut être attaquée que par pourvoi en cassation et pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme».
  • Le second recours ouvert aux expropriés est celui pour défaut de base légale de l’ordonnance d’expropriation encadré par les dispositions des articles 223-2 et R. 223-1 à R. 223-8 du Code de l’expropriation et engagé indirectement lorsque la DUP et/ou l’arrêté de cessibilité sont déclarés illégaux définitivement.

Dans cette hypothèse, en cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut saisir le Juge de l’expropriation pour faire constater par le juge que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation.

Jusqu’alors la Cour de cassation admettait qu’un exproprié puisse former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation, alors même que le recours en annulation de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité était en cours, en vue demander la cassation de l’ordonnance d’expropriation « par voie de conséquence de l’annulation à intervenir »  (Cass., 3e civ., 17 déc. 2008 n° 07-17.739 : Bull. civ. III n° 208 ; Cass., 3e civ. 11 mai 2010 n° 09-14.801 : Cass., 3e civ. 11 juil. 2024 n° 23-11.763).

Dans le cadre d’un tel recours, la Cour devait nécessairement surseoir à statuer en attendant la décision définitive du Juge administratif, et procédait à la radiation de l’affaire. Une fois la décision définitive du Juge administratif intervenue, la partie la plus diligente devait demander le rétablissement au rôle de l’affaire, et ce dans un délai de 2 ans à compter de la décision définitive sous peine de se voir opposer la péremption de l’instance (Cass., 3e civ. 17 oct.1996 n° 88-70.033).

Désormais, il ne sera plus possible de former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation afin de faire constater sa perte de base légale par voie de conséquence de l’annulation à venir de la DUP/arrêté de cessibilité par la juridiction administrative. La Cour rétablit donc la dichotomie existant dans les textes entre les deux recours des articles L. 223-1 et L. 223-2 du Code de l’expropriation.

Autrement dit, le défaut de base légale d’une ordonnance d’expropriation ne pourra être invoqué que dans le cadre d’un recours pour défaut de base légale sur le fondement de l’article L. 223-2 du Code de l’expropriation.

La Cour de cassation rationalise les recours possibles contre une ordonnance d’expropriation. En effet, il est rappelé qu’au terme du précédent état de la jurisprudence, même si le défaut de base de légale était reconnu dans le cadre d’un recours en cassation contre l’ordonnance, le juge de l’expropriation se trouvait nécessairement saisi pour tirer les conséquences de la décision anéantissant l’ordonnance d’expropriation, impliquant donc une double saisine.

Par ailleurs, comme le rappelle l’arrêt, cette nouvelle position jurisprudentielle ne prive pas les expropriés d’un recours effectif au juge, que ces derniers soient parties ou non à la procédure d’annulation devant le juge administratif.

En effet, conformément aux articles R. 223-1 à R. 223-8, l’exproprié partie à la procédure devant la juridiction administrative dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision définitive annulant la DUP ou l’arrêté de cessibilité pour saisir le juge de l’expropriation en vue de faire constater le défaut de base légale. Toutefois, si l’exproprié n’est pas partie à la procédure devant le Juge administratif, l’expropriant a l’obligation de lui notifier la décision d’annulation et le délai de 2 mois ne commence à courir qu’à compter de cette notification.

Aussi, même sans avoir introduit de recours en cassation, les expropriés disposent toujours de la possibilité de demander l’annulation de l’ordonnance d’expropriation pour défaut de base légale sur le fondement de l’article L. 223-2 du Code de l’expropriation.

En résumé, depuis l’intervention de cette décision du 16 janvier 2025, « l’annulation à intervenir de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité ne donne pas lieu à ouverture à cassation de l’ordonnance d’expropriation pour perte de fondement légal ».

La Cour fait une application immédiate de cette nouvelle règle de procédure, dans la mesure où elle ne prive pas l’exproprié de son droit d’accès au juge, sous réserve d’une notification avant l’arrêt d’une décision définitive d’annulation d’une DUP ou d’un arrêté de cessibilité prononcée par la juridiction administrative.